Le loup des plaines
moi profond
observait ses vains efforts avec un froid dédain et tentait de reprendre le
dessus. Finalement, ce fut le son de la voix de Tolui qui le fit se figer et
fermer les yeux avec une sorte de soulagement. Il ne pouvait plus rien faire d’autre.
— Il se cache, dit Tolui, dangereusement proche.
Les deux hommes avaient dû revenir sur leurs pas après l’avoir
perdu de vue.
La poitrine douloureuse, Temüdjin fourra sa main dans sa
bouche et la mordit pour ne pas crier. Il se concentra sur l’image de son père
agonisant dans la yourte, la vie s’échappant de lui.
— Je sais que tu peux m’entendre ! cria Tolui, pantelant.
Lui aussi était éprouvé par la longue course, mais les
guerriers d’Eeluk étaient aussi endurants qu’un homme peut l’être, et ils
récupéreraient rapidement.
Temüdjin demeura immobile, la joue pressée contre les
feuilles mortes, le nez empli de la puissante odeur de moisi d’une vieille
racine qui n’avait jamais vu la lumière du jour. Il savait qu’il pourrait leur
échapper dans l’obscurité, mais la nuit ne viendrait pas avant longtemps et il
ne voyait pas d’autre moyen d’augmenter ses chances. Il haïssait les hommes qui
le cherchaient, il les haïssait avec une telle ardeur qu’ils devaient le sentir.
— Où est Bekter, ton aîné ? reprit Tolui. Vous
êtes les deux seuls que nous voulons. Tu comprends ?
Puis Temüdjin l’entendit murmurer à Basan :
— Il est tapi quelque part dans le coin. Cherche
partout, appelle-moi si tu le découvres.
Temüdjin pria le père ciel de lui donner l’occasion d’abattre
cet homme dont la voix dure avait retrouvé une partie de son assurance ; il
le pria de le brûler, de le fendre en deux avec un éclair comme il l’avait vu
le faire d’un arbre. Le ciel ne lui répondit pas, si tant est qu’il l’ait
entendu, et dans la poitrine de Temüdjin la rage se ranima, faisant naître des
visions de vengeance sanglante.
Sa respiration s’était un peu calmée mais son cœur
continuait à battre follement et il avait beaucoup de mal à s’empêcher de
bouger ou de respirer fort. Il entendit des pas faire crisser des feuilles à
proximité. Une fente laissait passer un peu de lumière et Temüdjin la fixa du
regard, vit des ombres remuer. À son horreur, un pied botté apparut, bientôt
remplacé par un visage. Des yeux s’élargirent en le découvrant. Un long moment,
Temüdjin et Basan se dévisagèrent puis le guerrier disparut.
Temüdjin sentit des larmes lui monter aux yeux. Par-dessus
le grondement du sang dans ses oreilles, toutes les blessures de son pauvre
corps meurtri par la poursuite semblaient gémir. Submergé de soulagement, il se
souvint que Basan avait été loyal envers Yesugei.
Il entendit la voix de Tolui au loin et, pendant un long
moment, il se retrouva seul avec le murmure de sa respiration. Le soleil sombra
vers des collines invisibles, l’obscurité se fit dans les bruyères. Les deux
hommes s’appelaient mais leurs voix semblaient lointaines. Finalement, l’épuisement
triompha d’un coup de sa conscience et il s’endormit.
En se réveillant, il vit une flamme jaune traverser son
champ de vision. D’abord, il ne comprit pas ce que c’était ni pourquoi il
gisait sur le sol, recroquevillé dans des ronces si épaisses qu’il pouvait à
peine bouger. C’était effrayant d’être pris dans l’obscurité et les épines et
il ne savait pas comment s’en dépêtrer sans repartir en arrière en rampant.
La torche passait devant ses yeux, l’éblouissant brièvement.
Un instant, il vit le visage de Tolui dans sa lumière dorée. Le guerrier le
cherchait encore et il avait l’air sombre, fatigué. Il ne faisait aucun doute
que ses poursuivants étaient aussi affamés et épuisés que lui.
— Je t’arracherai la peau si tu ne te montres pas !
beugla soudain Tolui. Si tu m’obliges à te chercher toute la nuit, je te
briserai les os.
Temüdjin s’efforçait de détendre ses muscles chaque fois que
la flamme s’éloignait. Tolui ne verrait pas les ronces trembler dans la
pénombre et le jeune Loup devait se préparer à reprendre la fuite. Il étira ses
jambes repliées contre sa poitrine, grogna presque de soulagement. Tout autour
de lui était froid, humide, et il se dit que c’étaient plutôt ses crampes que
la voix de Tolui qui l’avaient réveillé.
De ses mains, il massa les muscles noués de ses cuisses. Il
fallait qu’il jaillisse de sa
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