Le Lys Et La Pourpre
bûches. Et te voici
encore céans !
— Monsieur le Comte, Franz m’a dit d’allumer le feu, de
l’entretenir de bûches, et de veiller sur lui : étant bonne chambrière,
j’ai obéi à votre majordome. Aussi avez-vous maintenant une chambre bien
douillette et une couche bien bassinée. Monsieur le Comte, peux-je vous
déshabiller ?
— Oui-da ! Mais, dis-moi, Jeannette, ne t’es-tu
pas un peu morfondue à demeurer assise devant le feu, ces deux heures
écoulées ?
— Nenni, Monsieur le Comte. Je rêvais. Je me posais
questions.
— Qu’est cela ? Tu te posais questions !
Quelles questions ? Allons cite-m’en une au moins !
— Eh bien, par exemple…
Et elle s’interrompit.
— C’est que, Monsieur le Comte, je ne voudrais pas
paraître trop effrontée.
— Va ! Va ! Je te le permets pour une fois.
— Eh bien, par exemple, Monsieur le Comte, je me
demandais si votre sieste allait être bougeante ou paressante…
À quoi je ris à gueule bec tant la phrase me parut à la fois
jolie et rusée. Je me glissai dans les draps chauds toujours riant, mais
reprenant à la parfin haleine, je lui dis :
— Telle est donc la question que tu te posais ?
— Oui, Monsieur le Comte, avec votre permission.
— Ma sieste sera-t-elle bougeante ou paressante ?
Mais c’est un vrai problème cela, en effet, ma Jeannette, et des plus sérieux
et qui relève peut-être, à y penser plus outre, de la morale et de la
métaphysique.
— Monsieur le Comte, pardonnez-moi, ma fé, je ne sais
rien de votre métamusique ! mais je sais bien ce qui a tourné dans ma
cervelle ces deux heures écoulées, tant les bonnes chances que les mauvaises,
d’avoir ce que je voulais.
— Mais comme tu sais, Jeannette, la vérité n’est que dans
l’essai qu’on en fait.
— Pardine, Monsieur le Comte, si je le sais !
— Or donc, m’amie, viens me retrouver céans. La chambre
est tiède. L’huis est clos. Ferme bien les courtines sur nous.
*
* *
Jetant ma petite pique contre mon père dans la gibecière de
mes oublis, je lui fis bon visage le lendemain quand nous partîmes à
potron-minet, et de son côté, il ne pipa mot de notre différend. Il est bien
vrai qu’il était d’un grand renfort pour notre expédition, tant du côté médical
que du côté guerrier, car du temps de ses missions secrètes, il avait acquis
sous Henri III comme sous Henri IV une grandissime expérience des
embûches et des surprises, ayant passé au travers de toutes avec autant
d’astuce que de vaillance.
Il y eut un grand silence dans le carrosse dès qu’il se mit
à rouler en nous secouant les tripes sur les pavés inégaux de Paris, mon père
et moi examinant avec admiration les épais volets de bois dont Lachaise avait
remparé les fenêtres et les deux portes, celles-ci, à la différence des fenêtres,
ménageant en haut une étroite meurtrière horizontale par laquelle, une fois la
vitre baissée à l’intérieur, on pouvait tirer au pistolet sur les assaillants
qui auraient pris le carrosse pour cible.
Charpentier se tenait coi, parce que le cardinal l’avait
accoutumé au silence, et La Barge ne pipait pas, parce qu’il craignait d’être
rebuffé par moi. Mais il est bien vrai que ce renfort à nos portes et fenêtres
ainsi que la présence sur le siège, à côté de mon père, de six pistolets avec
tout ce qu’il fallait pour les charger, paraissaient fort surprenants et
pouvaient amener même un homme moins curieux que La Barge à se poser questions
ou à me les poser. Et c’est bien ce qu’il fit à la parfin, n’y pouvant plus
tenir.
— Monsieur le Comte, dit-il, puis-je vous demander…
Il n’eut pas le temps de finir. Mon père jeta au malheureux
un œil si foudroyant que s’il y avait eu de la terre sous lui, il y serait
rentré.
— Monsieur mon fils, dit le marquis de Siorac, ce
béjaune est bien malappris. Confiez-le-moi quinze jours, je me charge de le
rééduquer par le fouet et l’arçon, tout noble qu’il soit.
— Monsieur mon père, dis-je, si Monsieur de La Barge
n’a pas amendé ses conduites au retour de cette périlleuse expédition, je vous
le confierai bien volontiers.
À ce mot de « périlleux », Charpentier leva
vivement la tête, mais ce ne fut qu’un éclair. Il referma aussitôt ses lourdes
paupières sur ses yeux et fit mine de s’ensommeiller. Je pris alors le parti
d’éclairer sa lanterne, puisque aussi bien il était à nos
Weitere Kostenlose Bücher