Le Manuscrit de Grenade
remarquant qu’elle tremblait. Il fit semblant de la croire :
— Dommage !
Le vieil homme dont ils avaient complètement oublié la présence se rapprocha de la guérisseuse et saisit sa paume.
— Vous permettez ? Les lignes de la main cachent de grands mystères… Ah ! voici votre pierre de lune, elle apparaît dans le triangle compris entre vos lignes de vie, de chance et de santé. Héritage délicat. Usez-en avec parcimonie, craignez et respectez sa puissance. Grands dangers et grands espoirs, perte de temps ou gain de temps, à vous de voir. Me voici rassasié, il me faut prendre congé. Merci pour votre hospitalité. Ah ! j’oubliais, vous aimez les parfums ? Ils peuvent être utiles quand on sait les utiliser. À vous revoir, guérisseuse, et vous, Grenadin. Que votre errance soit récompensée et vos rencontres talentueuses.
Avec une agilité surprenante, il sauta sur ses jambes, empoigna un grand bâton clouté qu’aucun d’eux n’avait vu auparavant, une arme formidable qui fit frémir le guerrier, puis s’éloigna à grands pas. Étonnés, les fugitifs virent leur visiteur se fondre littéralement dans la nuit claire. Il marchait et soudain il ne fut plus là.
Pedro jeta un coup d’œil à sa compagne. Elle s’était levée et fixait l’endroit où le vagabond avait disparu. Elle avait l’air tellement perdue qu’il faillit s’approcher d’elle pour la réconforter. Bridant son désir, il se contenta de remarquer d’un ton neutre :
— Drôle de bonhomme ! Il avait l’air de vous connaître.
Comme Myrin ne semblait pas disposée à se confier, il se leva pour verser de l’eau sur les braises et éteindre le feu. La fumée et le crépitement lui rappelèrent qu’il avait un message à transmettre :
— Voulez-vous que je vous répète les paroles confiées à doña Isabeau par dame Tchalaï ?
Le visage de sa compagne passa de l’effroi au chagrin. Dans ses yeux, il vit danser les flammes d’une torche humaine, et sut que son esprit avait suivi le même cheminement. Furieux de sa maladresse, il grommela :
— Il est temps de repartir. Il nous reste deux bonnes heures de route pour atteindre notre prochaine étape.
Après avoir étrillé et massé leurs montures, ils reprirent le chemin des crêtes, quittant peu à peu les pâturages d’Arkosch pour s’aventurer dans les forêts montagneuses. Ils se lancèrent dans un galop tranquille sur un sentier tracé à travers les sapins. Vers minuit, après avoir franchi un col de mauvaise réputation sans rencontrer le moindre contrebandier, ils arrivèrent devant une maison en piteux état. Portes et fenêtres arrachées, murs décrépis, tuiles envolées, la vieille auberge n’était plus qu’une carcasse inhospitalière. Pour plus de précautions, ils dissimulèrent le cheval et la mule dans ce qui avait été une écurie quand l’endroit servait de relais de poste. Puis ils pénétrèrent dans l’ancienne hostellerie qu’ils visitèrent de fond en comble. Toutes les pièces étaient vides. Quant à l’escalier qui desservait les chambres, il n’existait plus.
Pedro s’empara d’une corde qui traînait sur le sol, la lança vers la balustrade du premier étage où elle s’enroula autour d’un poteau. Tout en tirant dessus pour éprouver la solidité du pilier, il demanda à sa compagne :
— Nous serions plus en sécurité là-haut. Sauriez-vous utiliser ceci ?
Pour toute réponse, Myrin retroussa sa jupe, l’accrocha à sa ceinture à l’aide de troussoirs et se mit à grimper, lui offrant la magnifique vision d’une chute de reins bridée par une culotte longue. Un vêtement pratique pour enfourcher un cheval et pour grimper à la corde. Mais une rude épreuve pour un gaillard d’une trentaine d’années. Quand elle fut en haut, il lui lança sacs et couvertures de selles puis la suivit. Il alluma une bougie, étendit les étoffes de laine sur le sol et lui fit signe de prendre place. Une fois installés, ils partagèrent les fruits secs que Myrin avait emportés et burent quelques gorgées d’eau.
Pedro s’apprêtait à s’allonger quand une voix ferme déclara :
— Maintenant, il est temps pour moi d’entendre le message de ma mère. Je vous écoute.
Juste au moment où il aspirait au repos. Il grimaça. Cette rouquine était contrariante. Entre la fatigue du voyage et le désir qu’avaient éveillé les contorsions culottées de Myrin, Pedro n’avait qu’une envie, faire le
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