Le Manuscrit de Grenade

vide dans sa tête et sombrer dans un sommeil sans rêve. Mais sa voisine le fixait de ses grands yeux clairs, attendant qu’il se décide à parler. Il soupira, puis lentement répéta d’un ton monocorde les mots si souvent ressassés depuis son départ de l’Alcazar :
    — Ma fille bien-aimée, c’est à toi que je confie le lourd fardeau de remplir la mission imposée à notre lignée. Rappelle-toi le chant que je te fredonnais le soir au coucher, et qui commence par ces mots : « D’Abraham le Béni entendez la prophétie. »
    De nouveau bouleversé par ces paroles, Pedro ferma les yeux pour se remémorer la voix de sa mère scandant ce lai en arabe littéraire. Il avait oublié la suite du poème, trop tôt séparé des siens, mais il était conscient qu’un même mystère reliait ces deux femmes, la juive et la musulmane. Deux filles d’Abraham choisies par le destin. Sa compagne restait muette. Il respecta son silence. Quand elle se décida à parler, ce fut d’une voix enrouée par l’émotion :
    — Je me souviens de cette phrase.
    — C’est tout ?
    — Oui !
    La réponse avait jailli trop vite. Myrin mentait. Pedro résista à l’envie de lui demander en quoi consistait la mission dont elle héritait. Il décida de lui laisser le temps. Elle se confierait quand elle serait prête, il en était persuadé. Sans doute gênée par son ton tranchant, elle ajouta :
    — Depuis mon enfance, ma mère me parle d’un secret de famille qu’elle me dévoilera en temps voulu. Malheureusement, elle est morte avant de me l’expliquer. Je n’en sais pas plus.
    — Une femme d’une grande sagesse. Pour l’instant cette ignorance vous protège. Faisons-Lui confiance. Si telle est Sa Volonté, Il nous enverra des signes ! Maintenant dormons. Nous repartirons dès le lever du jour. Nous aurons une longue route avant d’atteindre notre prochain bivouac.
    — Vous avez raison, je suis épuisée et courbatue. Je vais avaler une de mes potions magiques et rejoindre le domaine des songes. Bonne nuit.
    Mélancolique, le soldat s’enroula dans sa couverture et ferma les yeux. Ils auraient quelques journées de voyage pour réfléchir au message de dame Tchalaï. Il s’endormit en entendant la voix de sa mère scander en arabe les paroles mystérieuses. Mais, malgré ses efforts, il fut incapable de se les rappeler.
     
    Pedro fut réveillé en sursaut par un rire cristallin. Le spectacle était si bizarre qu’il se frotta les yeux. Une dizaine de bougies éclairaient la chambre où ils s’étaient endormis. Sur le sol, une nappe blanche, de la porcelaine fine, des verres en cristal et des mets savoureux. Myrin, resplendissante dans une robe en soie rouge, était penchée sur lui et lui présentait un verre de vin au bouquet capiteux. La vue de ses seins blancs, parsemés de taches de rousseur, qui débordaient de son décolleté et se rapprochaient dangereusement de son visage, le perturba. Son désir se réveilla, et son corps réagit vigoureusement. Impossible de cacher son état. Furieux, il essaya de tirer sur sa chemise, mais le résultat fut pitoyable. Le tissu s’écartait désespérément de son bas-ventre. Il s’assit, s’adossa contre le mur et releva ses genoux.
    Céder à ses pulsions masculines serait une erreur qu’il regretterait toute sa vie. À son âge, il devait être capable de se contrôler. Elle était trop jeune, traversait une période difficile, venait de perdre sa mère. Seul un butor profiterait de sa faiblesse et de sa folie passagère. Malgré ses bonnes résolutions, son corps sous tension vibrait de désir.
    Amusée par ses contorsions, Myrin éclata de rire et dit d’une voix moqueuse :
    — Vous m’avez demandé si j’avais un Talent ? Eh bien, voici la réponse. Ma bague possède les mêmes caractéristiques que la lampe d’Aladin. Il me suffit de formuler un souhait et elle l’exauce aussitôt.
    Comme il la regardait avec intensité, mais sans esquisser le moindre geste, elle ajouta :
    — Allons buvez ce nectar. Il vous déliera la langue et vous donnera un peu de courage. Ne faites pas cette tête ! Croyez-vous pouvoir cacher votre état à une sorcière ?
    D’un geste presque brutal, elle le renversa sur le dos et se pencha vers lui pour poser ses lèvres sur les siennes. Malgré lui, malgré sa conviction qu’il fallait à tout prix résister à la tentation, il ouvrit la bouche, laissant leurs langues se prendre. Son membre se durcit