Le Manuscrit de Grenade
mon deuil !
— Alors pourquoi cette poitrine plate et ces hanches de garçon ?
La remarque, dite d’une voix douce et compréhensive, frappa Isabeau comme une gifle. Elle tituba. Myrin connaissait l’histoire personnelle de la jeune fille. Ce vieillard exagérait. Pourquoi remuer le fer dans la plaie ? Elle se souvint des confidences de sa mère. Elle avait toujours affirmé que la fillette retrouverait un jour sa féminité. Ce sage avait de bien curieuses manières.
— Le silence est d’or, mais parfois il faut parler, poursuivit le marchand avec la voix du médecin Tchalaï de Luz.
Même timbre, même façon d’articuler, même douceur.
Myrin laissa échapper un cri de surprise et Pedro haussa les sourcils. Insensible à la tristesse de la guérisseuse, le cabaliste continua son imitation.
— Vous n’êtes pas responsable de la mort de vos parents.
Myrin, les larmes aux yeux, croyait entendre sa mère. Quant à Isabeau, les yeux fixés sur le papillon noir, elle semblait en état de catalepsie. Mais son tourmenteur, retrouvant sa voix aigrelette, insista :
— Votre désir d’échapper à une punition par ailleurs bien méritée n’a pas scellé leur sort.
— J’ai souhaité qu’ils ne reviennent pas, murmura-t-elle.
— Parce que vous aviez honte de les décevoir. Toutes les petites filles font des caprices.
— Mais toutes ne volent pas l’objet qu’on leur refuse !
Le vieil homme éclata de rire :
— C’est très fréquent au contraire. Si vos parents étaient revenus de leur voyage, ils vous auraient écoutée, grondée et punie. Et tout serait rentré dans l’ordre. Mais vous ne les avez jamais revus.
Bouleversée par l’expression douloureuse qui plissait les traits d’Isabeau, Myrin mit fin au dialogue en disant d’un ton abrupt :
— Nous venons de la part de dame Gomenez. Elle nous a assuré que vous pourriez nous aider.
— Ah ! ah ! ma vieille amie collectionneuse de contes. Et voici son fils Karim, mais nous nous connaissons déjà. Son accent changea une fois encore. Singeant le ton des prêcheurs, il déclama : heureux celui qui a connu l’amour d’une mère. Heureux celui qui reconnaît l’amour d’une amante. Heureux celui qui connaîtra l’amour d’un enfant. Parce que la rosée qui tombe sur cet homme-là est une rosée de lumière.
Ce vieux fou dépassait la mesure. La guérisseuse intervint avant que le guerrier ne perde son sang-froid :
— Nous sommes à la recherche du manuscrit d’Abraham. Que savez-vous à ce sujet ?
Le savant leva les yeux au ciel, haussa les épaules, et s’affala dans un vieux fauteuil derrière le comptoir. Seule la pointe conique de son chapeau vert restait visible.
— La clé et la main seront vos guides. Réunissez-les. Elles vous conduiront au parchemin de pierre.
— Mais c’est impossible ! s’écria Pedro.
Devant son air abasourdi, Myrin conclut qu’il avait compris les paroles de Khider, et que les conseils donnés ne lui convenaient pas.
Sans paraître troublé par cet éclat, le vieillard se releva péniblement, ouvrit un tiroir, en sortit une loupe cerclée d’or accrochée à une chaîne :
— Soldat, j’ai une nouvelle arme pour vous, dit-il en lui fourrant le bijou dans les mains.
— J’ai une très bonne vue, marmonna le maître d’armes, vexé.
Un ricanement silencieux secoua les épaules du marchand.
— Oh ! cette loupe vous servira, vous verrez. Certaines inscriptions sont parfois difficiles à lire, surtout pour quelqu’un de votre âge.
Se tournant vers Myrin de plus en plus exaspérée par ses facéties, il ajouta :
— L’Épée, la Coupe, le Bâton, le Pentacle sont réunis. Ce n’est pas par hasard.
— Qui suis-je ? demanda-t-elle en regardant les quatre images qu’il venait d’étaler devant lui.
— Le Pentacle ! Qui d’autre ?
— Et moi, dit timidement Yasmin.
L’homme au chapeau pointu regarda la jeteuse de sorts en haussant les sourcils d’un air interrogateur. Celle-ci écarta du doigt le guerrier qui pointait son épée vers la gueule ouverte d’un dragon, puis contempla longuement les deux arcanes qui restaient. Le garçon suspendu entre deux branches d’arbre ne peut être qu’Isabeau, songea-t-elle. Comme elle, il n’a pas fini de grandir et ne sait toujours pas qui il est.
— La Coupe, chuchota la fille de dame Tchalaï en montrant du doigt la prisonnière sur son rocher solitaire. Une jeune fille entravée
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