Le Manuscrit de Grenade
bric-à-brac qui encombre sa tanière, c’est un grand savant.
En arrivant dans le Zacatin, les voyageurs furent assaillis par des gamins dépenaillés. Les petits mendiants, ravis de voir des étrangers et bien décidés à les plumer, s’attachèrent à leurs pas et les suivirent jusqu’au magasin qui portait un nom curieux : Les Trésors d’Osiris .
Dans la vitrine, des parchemins anciens cohabitaient avec des objets bizarres, chandelles colorées, crânes, pentacles, racines de mandragore, disques en argent représentant le zodiaque de Ptolémée, jeux de tarot égyptiens, osselets, boules de cristal, pendules divinatoires en bois, en argent, en or, en verre. Interloqués par le contenu de cette devanture, les voyageurs s’arrêtèrent un instant avant d’entrer dans la boutique l’un derrière l’autre, Pedro en tête, suivi par Myrin, Yasmin et Isabeau qui ne s’était toujours pas résolue à s’habiller en demoiselle.
Constatant que leurs proies leur échappaient, les chenapans allèrent s’asseoir contre un mur blanc protégé du soleil par l’ombre d’un minaret, bien décidés à attendre leur sortie.
L’intérieur de la boutique était sombre.
Circonspects, les visiteurs marchaient sur la pointe des pieds pour ne pas troubler le silence du lieu. Des étagères ployant sous les livres et les rouleaux de parchemins formaient une sorte de labyrinthe étroit et tortueux qui les mena jusqu’au fond du magasin.
Là, debout derrière un comptoir, un vieillard examinait avec attention quatre images enluminées. L’homme avait une figure longue et maigre, un petit nez, des lèvres minces. D’énormes sourcils en accents circonflexes étaient en partie cachés par un chapeau pointu à larges bords de couleur verte. Il releva la tête pour les fixer de ses yeux noirs profondément enchâssés dans leurs orbites. Bien qu’elle n’ait pas vu sa figure lors de leur première rencontre, Myrin sut immédiatement que le maître des lieux n’était autre que le vagabond mystérieux rencontré autour d’un feu de bois. Un coup d’œil vers Pedro lui apprit qu’il avait reconnu le cabaliste.
Pourquoi ne suis-je pas surprise ? pensa Myrin en se rapprochant du comptoir. Au premier plan sa lame l’attendait, une silhouette blanche, assise en tailleur, dessinée sur un carton vert pomme. Dans sa main droite un bouquet d’herbes sauvages, dans la gauche trois cartes de tarot, autour de son cou, une émeraude. La Petite Mère aux herbes ! Parfois appelée la Jeteuse de sorts , ou encore la Guérisseuse , surnom qu’elle préférait. Une voix aigrelette qu’elle aurait reconnue n’importe où la sortit de sa rêverie :
— De même que le firmament est marqué d’étoiles et d’autres signes visibles aux sages, de même la peau est marquée de rides et de signes visibles aux sages. Certes la chair, la peau, les os et les nerfs ne constituent pas l’être humain, attendu que l’âme seule constitue l’individualité. La chair, la peau, les os et les nerfs forment seulement l’enveloppe. La tienne a changé. Le poids des ans est encore léger, mais qu’en sera-t-il la prochaine fois ?
Piquée au vif par cette remarque, Myrin se rebella :
— Certains héritages ne se refusent pas. J’aimerais ne pas utiliser ma pierre de lune, mais… Elle avala de travers, s’étouffa, reprit entre deux quintes de toux, mais ai-je le choix ?
— La lumière de la lune deviendra comme la lumière du soleil.
Du charabia. Cette manie de parler par énigmes. Se méfiant des pouvoirs que le sage possédait, elle résista à l’envie de le faire disparaître. Sans oublier le poids des ans, comme il l’avait si délicatement formulé.
— Si vous n’avez pas de conseil utile à me donner pour détourner la malédiction liée à ma bague, je préférerais que nous changions de sujet.
Sur le comptoir, la carte de Celle qui sait disparut, remplacée par l’image d’un grand papillon noir, une lame que Myrin n’avait jamais vue dans aucun jeu de tarot. Isabeau s’exclama :
— C’est mon papillon ! Il ressemble comme un frère au porte-queue maléfique qui, depuis l’enfance, m’annonce désastres et dangers.
— Pour les mauvaises actions commises secrètement, le mauvais messager remplit son office. Que cesse la colère, le remords, la culpabilité envers les morts et il rejoindra le deuxième palais du Démon.
Cette réponse irrita la jeune fille :
— Mais j’ai fait
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