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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marianne Leconte
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taisaient, trop étonnés pour réagir, il les entraîna à l’intérieur du bâtiment. Arrivé devant la deuxième porte, il leur désigna le fronton.
    — Et maintenant voici le blason des rois Nasrides.
    Démoralisée, Myrin contemplait la clé sculptée dans la pierre du fronton. Le cabaliste s’était bien moqué d’eux. Il était impossible de réunir ces deux objets, sauf, peut-être… Comme si elle avait lu dans ses pensées, Yasmin lui murmura à l’oreille :
    — Cette fois, mon Talent ne nous sera d’aucun secours.
    Myrin regarda son annulaire avec appréhension ; la pierre de lune flamboyait. Un coup d’œil circulaire sur ses compagnons la rassura. Ils n’avaient rien vu. Avec un soupir de soulagement, elle tourna le chaton de la bague vers sa paume. Pas question d’utiliser son talisman. Même si les deux objets se décrochaient de leur mur, comment pourraient-ils les conduire jusqu’au manuscrit ? Tout ce chemin pour rien. Elle aurait mieux fait de s’embarquer sur un navire et de fuir l’Andalousie. Qui était-elle pour vouloir sauver Grenade des griffes des chrétiens et des musulmans. Une cité où les enfants des trois religions vivraient en paix… Une chimère ! Sans un chef impitoyable, les guerres religieuses reprendraient rapidement. Chaque communauté, persuadée de détenir la vérité, tenterait de convertir les autres, de gré ou de force. Et si vraiment les trois héritiers d’Abraham s’entendaient trop bien, leurs croyances s’entremêleraient au point de gommer leurs différences. Car on ne peut à la fois se rapprocher de l’autre et rester différent. Une gourmandise de rabbins, ce genre de controverse.
    — Il doit y avoir un moyen, chuchota Isabeau. Si nous ne faisons rien, les légions de l’Inquisition gouverneront la chrétienté. Les bûchers brûleront par milliers, empuantissant l’atmosphère de chairs grillées et assombrissant le ciel de fumées ténébreuses.
    La maîtresse des parfums se tourna vers Myrin et la toisa d’un air ambigu.
    — Je comprends que tu aies peur d’utiliser ta pierre. Les conséquences sont terrifiantes.
    Cette gamine était insupportable. Une véritable peste qui se mêlait de tout, surtout de ce qui ne la regardait pas. La silhouette d’une petite vieille courbée en deux traversa son champ de vision. Elle marchait difficilement en s’appuyant sur un bâton. Son visage était ratatiné comme une vieille pomme. Voilà ce qui m’attend si je joue les héroïnes, songea la guérisseuse désespérée. Puis les paroles de Tchalaï lui revinrent en mémoire « Dès que l’Espagne sera conquise, les Juifs seront chassés, pourchassés, exterminés. Même les marranes. Quant aux musulmans, ils subiront le même sort peu de temps après nous. »
    Les autres avaient entendu les paroles de la benjamine et contemplaient maintenant Myrin avec un mélange de compréhension, de pitié et d’horreur. En deux enjambées, Pedro la rejoignit et la prit dans ses bras. La serrant contre lui, il dit avec douceur :
    — La décision t’appartient.
    Blottie contre sa poitrine, Myrin se cramponnait à cet homme qu’elle allait peut-être perdre. Elle appréciait sa discrétion et son honnêteté. Aucune promesse qu’il n’aurait pu tenir. Elle contempla le beau visage ascétique, les yeux sombres et profonds, les lèvres sensuelles. Un gloussement lui échappa. Le réveil du guerrier dans l’auberge abandonnée. Sa confusion. Ses doutes. Ses interrogations muettes. Un si joli rêve ! Il ne saurait jamais la vérité. Émoustillée par ses souvenirs, la jeune femme se décida :
    — Par la Jérusalem céleste, que la main et la clé se rejoignent, chuchota-t-elle en caressant la sélénite.
    Un martèlement sourd retentit, comme une troupe de taureaux au galop ! Sous leurs pieds, la terre tremblait légèrement. Puis le grondement s’amplifia, le sol se souleva par endroits, des pierres dégringolèrent, les murs de la tour commencèrent à se fissurer.
    La panique s’empara des visiteurs qui se bousculèrent en criant pour fuir les lieux. Jouant des coudes, le guerrier entraîna Myrin vers la sortie. Isabeau s’engouffrait sous le porche du premier arc quand elle s’aperçut que la Mauresque était restée dans la cour. Elle se retourna, leva les yeux et vit le fronton basculer. Elle hurla pour attirer l’attention de l’adolescente, mais celle-ci semblait incapable de réagir. Paralysée par la peur, bousculée par la

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