Le Manuscrit de Grenade
sortait elle aussi plutôt bien, elle tendit la main à sa jeune compagne pour l’aider à se relever.
Sous les jupes de Yasmin, une clé de pierre et une main de pierre reposaient sur le sol.
— Je ne savais pas, murmura la rescapée en rougissant.
Myrin chuchota :
— J’ai réussi !
— À mon avis, tu peux améliorer ta technique, souffla Isabeau en ricanant nerveusement. Je ne voudrais pas jouer le rabat-joie mais pour l’instant ce ne sont que deux morceaux de pierre inertes.
À peine avait-elle proféré ces paroles qu’un vol de pies noires et blanches s’éleva au-dessus des ruines de la Tour pour venir se poser dans les arbres du jardin. Certaines transportaient dans leurs becs un objet volé sur les corps des victimes. Les moins chanceuses jasaient et cherchaient querelle à leurs congénères. Soudain, deux faucons semèrent la panique dans la colonie. Les chapardeuses s’éparpillèrent dans l’azur en jacassant comme des furies. Les rapaces se posèrent à côté des petites sculptures et chacun en saisit une dans son bec, puis ils prirent leur envol et s’éloignèrent lentement en direction de la ville basse.
— Vite, suivons-les, ordonna Pedro.
Le quatuor s’empressa de dévaler le chemin, les yeux braqués sur l’étrange phénomène. Sans s’apercevoir qu’un autre volatile les surveillait et que des soldats se lançaient à leur poursuite.
Pendant que le petit groupe, le nez en l’air, fuyait dans les venelles labyrinthiques de la ville basse, une foule en liesse se dirigeait vers les arènes. Le tremblement de terre n’avait détruit que la Tour de Justice et personne n’était au courant du drame.
Avant la tombée de la nuit devait commencer un combat extraordinaire entre le meilleur taureau du sultan et un lion magnifique, cadeau d’un vizir almohade. Les plus riches avaient acheté leurs places depuis longtemps, les plus chanceux avaient reçu gratuitement les leurs par tirage au sort. Du pain et des jeux, la recette fonctionnait toujours. Ainsi Boabdil, en détournant les esprits de l’avenir incertain qui les attendait après la reddition de Grenade, gardait l’amour de ses sujets.
Pedro et ses amies étaient arrivés trop récemment dans la cité pour connaître cet événement, mais, hasard ou chance, les faucons les guidèrent jusqu’à l’entrée principale des arènes où s’engouffraient les derniers spectateurs. Devant les portes qui commençaient à se refermer, il y eut un moment de flottement parmi les fugitifs. Derrière eux, à quelques mètres, les soldats brandissaient leurs yatagans en hurlant des ordres inaudibles. Il ne fallut que quelques secondes à Yasmin pour prendre sa décision. D’une voix ferme, elle s’écria :
— Entrez dans l’arène ! Si vous restez, je ne pourrai utiliser ma magie.
Ses compagnons n’hésitèrent qu’un quart de seconde et se précipitèrent pour franchir les deux ventaux de bois. Curieusement, on ne leur demanda rien. Ils se faufilèrent entre les travées, escaladèrent un escalier qui menait en haut des gradins, et s’assirent sur les plus hautes marches.
Une fois ses amis à l’abri dans l’arène, Yasmin se prépara à affronter la dizaine de soldats qui les poursuivaient. En voyant l’adolescente solitaire, ils s’approchèrent d’elle sans crainte et l’acculèrent contre la grande porte à double battant. Les rustres la fixaient avec une telle sauvagerie qu’elle eut l’impression de se retrouver face à Youssouf. Cela réveilla sa haine et décupla sa propre violence. L’envie de tuer déclencha l’élaboration du venin floral et provoqua une frénésie sexuelle d’une force inouïe. Son bas-ventre hurlait, pulsait, brûlait. Relevant jupe et jupons, elle se mit à virevolter devant les soldats médusés. Ils fixaient, hagards, le balancement de ses hanches et les tremblements voluptueux de son ventre légèrement bombé. Puis elle tournoya sur elle-même à vive allure devant la rangée d’hommes hypnotisés en libérant un nuage de jasmin. L’un après l’autre les gardes s’effondrèrent. Quand le dernier toucha le sol, elle faillit s’évanouir.
Pantelante, Yasmin s’appuya contre la porte en bois pour reprendre son souffle et ses esprits. Encore bouleversée par la jouissance qui l’avait submergée, elle regarda autour d’elle avec appréhension.
La placette était vide, sans témoins, mais la princesse maure jugea plus prudent de s’éloigner. Elle
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