Le Manuscrit de Grenade
sur l’Égypte et l’Autriche. Les Mamelouks se sont emparés des Deux-Siciles et de l’Italie, leur nouvel éden. En conséquence, les terres d’Espagne ne les intéressent plus ni les uns ni les autres. Les Berbères ne lèveront pas la moindre armée pour vous et si vous atteignez leur rivage, ce sera grâce au bon vouloir de Leurs Altesses. Croyez-vous qu’un trésor, quelle que soit son importance, pourrait sauver ce qui reste de votre royaume ?
— Vous avez l’art de résumer des siècles d’histoire. Ainsi présentée, la situation n’est pas à notre avantage, je l’admets. L’exil sauvera nos vies, mais, loin des jardins idylliques de notre chère Grenade, nos cœurs seront brisés et nos âmes ravagées par un mal inguérissable. Si nous pouvions garder notre paradis pour y vivre en paix selon les préceptes de notre religion, cela nous suffirait.
— Hélas ! Madame, ce désir que je comprends, il n’est pas en mon pouvoir de l’exaucer. Vous avez signé un traité avec les Rois Catholiques, et je ne suis que leur émissaire.
— Vous savez très bien que je ne fais pas allusion à ce parchemin. Nous espérons que cette émeraude pourra changer le sort de cette ville. Seule la prophétie nous permettra d’atteindre notre but et de sauver les miettes de notre passé glorieux.
— Croyez-vous vraiment, sultane Aïcha, que quelques mots écrits sur un tombeau puissent réaliser un tel prodige ?
— La foi dans la prophétie d’Abraham, béni soit le nom du saint prophète, est mon seul et ultime glaive. Alors je vous le demande une dernière fois, dites-nous à quoi sert cette émeraude. N’oubliez pas que vous êtes nos prisonniers et que nous avons un moyen de pression grâce à cette jolie Mauresque.
— Il est vrai que nous sommes en situation de faiblesse, mais il nous reste quelques atouts. Nous connaissons la prophétie qui annonce la nouvelle Jérusalem. Grenade sera de facto hors de portée des chrétiens, je vous le confirme. Nous connaissons le rôle que doit jouer l’émeraude. Et enfin nous connaissons le lieu précis où ce rituel doit être accompli.
Des exclamations accueillirent ces paroles prononcées avec assurance. Isabeau se demanda ce que savait exactement l’hidalgo ; avait-il découvert le sens des vers énigmatiques ?
Partagée entre espoir et doute, elle ne parvenait pas à se faire une opinion. Manuel était-il sincère ? Prêchait-il le faux pour savoir le vrai ? Ou essayait-il simplement de les sauver ?
À ses côtés Pedro était attentif. Seule Myrin écoutait cette conversation sans vraiment s’y intéresser.
— Je reconnais que vous avez de bonnes cartes en main dit Aïcha d’un ton affable. Quelles sont vos exigences ?
Au grand dam de l’ambassadeur, Pedro s’exclama violemment :
— Avant d’aller plus loin, il faut que le sorcier ramène Yasmin à la vie !
Son intervention sembla bouleverser la guérisseuse. Myrin porta la main à son front en gémissant, puis se mit à trembler et à tanguer, au bord du malaise. Elle se serait effondrée si le maître d’armes ne l’avait prise dans ses bras pour la soutenir.
Don Manuel continua la conversation comme si rien ne s’était passé.
— Pour prouver ma sincérité, et afin que la prophétie s’accomplisse, je vais vous en confier les paroles.
Il se recueillit quelques instants :
Le livre ouvert
Cache le sang vert
Une fois plongée
Dans l’eau sacrée
Des douze soleils
Par quatre bannis
Élus, choisis
Sonne l’éveil
De la nouvelle
Jérusalem
Dans le silence retrouvé, il entendit les soupirs de ses compagnons. La sultane le contemplait, songeuse :
— Eh bien, maintenant, dites-nous ce que ces mots signifient.
Don Manuel lança un coup d’œil à Myrin, dépositaire des secrets de ses ancêtres, héritière d’une quête sacrée. Devant son apathie, il se tourna vers le maître d’armes en haussant les sourcils d’un air interrogateur. Les paroles prophétiques avaient agi sur Pedro comme un coup de fouet.
Le vers rajouté par Manuel sur les quatre bannis ne lui a pas échappé, pensa Isabeau en voyant son hochement de tête. Le dernier des Gomenez répondit avec assurance :
— Le sang vert symbolise l’émeraude. Quant aux quatre bannis, ce sont Myrin, Isabeau, Yasmin, sans oublier votre serviteur. Nous ne nous sommes pas rencontrés par hasard. La parfumeuse doit être délivrée de sa gangue de verre pour participer au
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