Le marchand de mort
choix, cette femme, du moins Sir Reginald le disait : elle était d’une beauté langoureuse avec ses cheveux blonds qui lui retombaient sur le visage. Lui accorderait-elle ses faveurs si Vavasour lui proposait suffisamment ? Reginald l’en avait toujours assuré.
— Si tu paies assez, claironnait le collecteur d’impôts quand il avait bu, n’importe quelle gaillarde est trop heureuse d’accepter.
Vavasour ouvrit le portillon pour gagner le champ. Bientôt il aurait assez d’or et d’argent pour satisfaire tous ses désirs. Pour l’instant, il s’appliquait à marcher dans la neige qui lui arrivait jusqu’aux genoux, mettant fidèlement ses pas dans ceux de la personne qui l’avait précédé. Il s’immobilisa. Quelque chose n’allait pas. Pourquoi avoir fixé le rendez-vous au fond de la combe du Grand Champ ? Vavasour pinça les lèvres. Lui respecterait ses engagements. Il grimperait sur la croupe de la colline et, s’il ne voyait pas de lanterne clignoter en bas, alors il regagnerait la taverne. Il y prendrait un bon repas avant d’aller tout droit à Cantorbéry chercher l’Irlandais et se porter témoin pour le roi.
Le clerc s’immobilisa. Le ferait-il ? Quelque part dans les ténèbres, un renard affamé hurla furieusement à la lune, et un hibou qui chassait en vain dans les haies hulula tristement.
« Je suis comme eux, songea Vavasour : un chasseur, mais quoi qu’il arrive, je ne repartirai pas les mains vides. » Il continua à avancer. Ses bottes de cuir étaient de bonne qualité, mais la neige était profonde. De temps à autre, Vavasour frissonnait en sentant l’humidité glacée contre ses cuisses. Il aurait aimé rebrousser chemin. Il entendit du bruit derrière lui et s’arrêta, pivotant si vite qu’il faillit tomber. Le suivait-on ?
— Qui va là ?
Mais il ne vit autour de lui qu’un océan de blancheur, et les lumières à peine perceptibles de la taverne.
Il atteignit enfin la crête de la colline. Il fit tomber la neige de son manteau et regarda au fond de la combe. Sous la lune, le champ miroitait comme de l’argent. Fouillant l’obscurité, Vavasour essaya de sonder la brume. C’est alors qu’il la repéra, la lanterne, qui brillait d’un éclat mystérieux, comme si elle lui faisait signe d’approcher. Vavasour prit sa décision. Riant sous cape, il descendit la pente, suivant les empreintes dans la neige, qui le menaient droit vers la lanterne. Elle brillait de plus en plus, et l’attirait. À présent, Vavasour se redonnait du courage : il comprenait ce rendez-vous dehors, loin des regards curieux et inquisiteurs. Il souhaitait seulement que tout soit terminé. Combien avait levé Sir Reginald ? Oh, des centaines de livres ! Une vraie fortune ! Vavasour pourrait changer de nom et peut-être acheter un manoir à la frontière du pays de Galles ! Ou encore dans le Devon, entouré de verts pâturages. Il deviendrait alors un seigneur de la terre.
En parvenant au pied de la colline, Vavasour s’arrêta et regarda la lanterne.
— J’arrive ! cria-t-il. Tout est prêt ? Je ne comprenais pas comment vous pouviez me rencontrer ici.
Vavasour plissa les yeux : il n’arrivait pas à déterminer où était exactement la lanterne. Avec un soupir, il reprit sa marche.
— Je veux plus de la moitié ! cria-t-il encore. Peut-être les deux tiers ?
Brusquement il s’arrêta, et son coeur frémit dans sa poitrine. Sous ses pas, le sol avait craqué.
— Oh, Seigneur !
Vavasour courut, mais la glace sur laquelle il se trouvait céda, et il tomba dans l’eau glacée qui lui montait jusqu’à la poitrine.
— Aidez-moi !
La lanterne parut se déplacer.
— Oh, Dieu du ciel, venez à mon secours !
Alourdi par sa ceinture d’armes et son arbalète, Vavasour coula sous l’eau où son corps fut englouti en un instant de souffrance. Il se débattit, mais son manteau était trop pesant. Il avait l’impression que l’on tirait sa tête en arrière, et le froid était mortel. Il fit un ultime effort pour surnager : en vain, l’eau l’aspirait par le fond. Il ferma les yeux et sombra très vite dans l’inconscience.
Au-dessus, le jeune hibou chasseur, que les bruits singuliers dans la combe avaient troublé, hulula une fois encore avant de se réfugier sous le couvert sombre des arbres.
Kathryn se leva tôt, le lendemain matin. Elle joua un moment avec Wuf dans le jardin. Le garçonnet s’était inventé un jeu avec
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