Le Maréchal Berthier
ce moment le major général comptait sur plusieurs divisions du corps d'Augereau stationnées en Pologne et en parfait état pour renforcer l'armée. Il espérait également ravitailler les troupes à Smolensk où il avait ordonné de constituer des stocks importants. Bientôt il devait constater que ses ordres, s'ils avaient reçu un commencement d'exécution, n'avaient été concrétisés que très partiellement. Et le désordre qui continuait à régner allait amener le pillage et le gaspillage de ces approvisionnements déjà réduits. Quant aux divisions d'Augereau, il fallut les envoyer en toute hâte sur les ailes qui menaçaient d'être tournées. La catastrophe prenait des dimensions colossales. L'état-major se trouvait de plus en plus impuissant à jouer son rôle. Les effectifs continuaient à fondre. La garde qui conservait un reste de cohésion ne comptait plus que dix mille hommes alors qu'à Moscou elle en avait plus du double. Il fallut évacuer Smolensk où Napoléon avait pensé s'arrêter. Ses ordres devenaient incohérents et il s'en prenait à Berthier lorsqu'il découvrait qu'ils n'étaient pas parvenus à destination. Le 20 novembre, le quartier général était à Orcha. La marche devenait chaque jour plus difficile car, sur les flancs, Oudinot, Victor et Schwarzenberg étaient menacés d'être débordés, ce qui allait rendre problématique le passage de la Bérézina à un moment où les effectifs ne comptaient plus que 25 000 combattants et vraisemblablement autant de traînards. Puis, le 22 à Toloczin, on apprit que la tête de pont sur la rivière était tombée aux mains de l'ennemi. Devant l'imminence du danger, l'empereur et le major général retrouvèrent toute leur énergie. Oudinot réussit à reprendre la tête de pont et rétablit l'ouvrage en partie détruit. Berthier prépara activement le passage des restes de l'armée, fit passer sur la rive droite ce qui demeurait du corps d'Oudinot et toute la journée du 27 supervisa cette opération car Napoléon paraissait absent. Au prix d'efforts énormes les corps de Victor et d'Oudinot repoussèrent les attaques acharnées des Russes et le duc de Bellune se replia, le 28, en incendiant les ponts mais en laissant derrière lui les traînards et les blessés qui n'avaient pas obéi aux ordres de Berthier de traverser dans la nuit.
Le 29 novembre, Napoléon annonça pour la première fois à son état-major muet de surprise son intention d'abandonner l'armée pour rentrer à Paris. Il avait agi de même en Égypte et réitérerait de même après Waterloo, sachant pertinemment qu'un tel acte était une désertion. Pour tenter de dissiper le malaise, il fit une scène violente à Victor qu'il n'aimait pas pour avoir perdu une division lors du passage de la Bérézina. Le maréchal en fut d'autant plus scandalisé que la division était restée sur place sur ordre express de l'empereur. Depuis la Bérézina, Berthier qui y avait perdu son dernier cheval marchait à pied derrière la voiture de Napoléon montée sur patins, en compagnie de Caulaincourt, Duroc, Daru et des aides de camp survivants. Tous, peu habitués à couvrir de longues étapes à pied et au surplus chaussés de façon inadéquate, peinaient horriblement.
Ce fut le 5 décembre que l'empereur décida de rentrer à Paris. Les deux premières personnes à qui il s'en ouvrit, Daru et Bassano, se déclarèrent hostiles à ce départ. Napoléon n'osait consulter en premier ses généraux, connaissant d'avance leur réponse. L'empereur leur répliqua que n'ayant plus d'armée il risquait d'être capturé. C'était inexact. Il disposait de près de cent mille hommes entre la Pologne et l'Allemagne et grâce à eux aurait été en mesure d'écraser les Russes eux aussi épuisés. En réalité, frappé par la manière dont s'était déroulée la tentative de coup d'État de Malet et qu'à l'annonce (fausse) de sa mort personne n'avait songé qu'il avait un successeur dans le roi de Rome, il estimait sa présence nécessaire à Paris même si l'affaire était depuis longtemps jugulée.
Dans la soirée du 5 décembre, il fit appeler Berthier, Murat et Eugène et leur annonça son départ. Il désigna Murat pour le remplacer. Le choix était assez judicieux. Berthier le supplia-t-il de l'emmener avec lui ? Certains qui n'étaient d'ailleurs pas témoins de l'entretien l'ont soutenu. Thiers y a cru, mettant cet étrange comportement sur le compte de l'état de santé de
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