Le Maréchal Berthier
était d'accrocher et de battre successivement les deux principales armées russes assez éloignées l'une de l'autre. Mais la nonchalance de son frère Jérôme qui avait été chargé d'exécuter une partie de la manoeuvre la ferait échouer. Tandis que les corps d'armée reprenaient leur avance, Berthier organisait l'état-major de manière à le rendre le plus mobile possible, et dans ce but il renvoya délibérément à Königsberg l'intendant général et tous ses services ainsi que le payeur général et sa caisse, le médecin en chef et une grande partie de ses adjoints. Il leur confia le plus gros des bagages. Malgré cet allégement, Berthier gardait à ses côtés six aides de camp ainsi qu'une cinquantaine d'officiers de tous grades et une dizaine de civils. Il conservait un état-major aussi important que lors des précédentes campagnes et composé des mêmes individus, car il avait de plus en plus de mal à s'habituer à côtoyer de nouvelles têtes. Il vieillissait, mais admettait difficilement qu'il lui arrivait de se sentir fatigué. C'était toujours un bourreau de travail mais il oeuvrait plus lentement. Son âge, note le général Derrecagaix, n'était plus celui des hommes appelés à prendre part à des guerres de mouvement. En toute objectivité, Napoléon aurait dû chercher un major général plus jeune, plus dynamique, mais habitué à travailler avec Berthier, il aurait répugné à en changer.
Le 23 juin, alors que l'empereur en compagnie de Berthier et de Caulaincourt effectuait une ultime reconnaissance sur les rives du Niémen, son cheval fit un écart. Napoléon qui pensait à autre chose fut désarçonné. À en croire Caulaincourt, Berthier lui aurait pris la main et dit : « Nous ferions mieux de ne pas passer le Niémen ; cette chute est d'un mauvais augure » ; et le grand écuyer qui aurait eu la même pensée aurait acquiescé. Napoléon aurait affecté d'en rire mais aurait paru préoccupé tout le restant de la journée. Cette anecdote célèbre eut-elle réellement lieu ? Ce qui est certain, c'est que dans les jours précédant la traversée du Niémen Berthier, au cours de nombreux tête-à-tête qu'il eut avec l'empereur, le supplia d'ajourner l'invasion et d'essayer de négocier avec Alexandre. Mais Napoléon semblait d'autant plus obstiné qu'il savait que toute l'Europe suivait avec intérêt les difficultés qu'il rencontrait en Espagne. Puis la France traversait une crise économique et il soutenait qu'une grande victoire à l'est rétablirait tout son prestige.
La traversée du Niémen, le 24 juin, s'opéra sans difficulté, les Russes ne cherchant pas à s'y opposer. Assez rapidement des difficultés apparurent. Les cartes étaient « si défectueuses qu'on n'y trouvait plus rien », déclara l'empereur qui travaillait beaucoup sur les cartes et demanda que les officiers d'état-major effectuent des relevés et des croquis, ce qui ne servit pas à grand-chose.
Les Russes en reculant faisaient le désert et le ravitaillement posait déjà des problèmes insolubles. Le temps s'en mêla. Une série d'orages très violents noya tout et fut suivi d'une chaleur torride. Mais surtout le nombre des malades et des déserteurs (en particulier dans les troupes étrangères) croissait suivant une courbe exponentielle. Les chevaux nourris de seigle vert crevaient par milliers. Il fallut abandonner des quantités de voitures et de fourgons. Ces désordres apparurent avant même d'arriver à Vilna où Napoléon qui aurait dû presser sa progression décida de s'arrêter 15 jours pour remettre de l'ordre dans l'armée. Sa colère devant cette situation se tourna contre Berthier et l'état-major qu'il accusa de ne rien prévoir alors qu'il était au moins aussi fautif. Un autre grave problème se présenta que Berthier eut à résoudre, celui des lignes de communication plus grandes que par le passé en raison des distances et de l'importance des effectifs. L'empereur qui avait vu sa manoeuvre initiale mal exécutée décida de placer son plus jeune frère sous le commandement de Davout Ce fut encore une fois Berthier qui fut chargé de lui adresser à la fois des reproches et de lui annoncer la nouvelle. Plein de morgue et de fatuité, Jérôme se regimba. Comment, un simple maréchal osait adresser des remontrances à un roi ! Furieux, il donna sa démission et rentra chez lui sans réaliser qu'il désertait.
La marche en avant reprit le 16 juillet, et s'il y eut quelques
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