Le Maréchal Berthier
surveillance institué depuis octobre 1793 dans le village comme dans toutes les localités de France pour y dénoncer les menées de la réaction antirépublicaine. Sans qu'il l'eût sollicité, Francqueville en fut même élu président. Cette position lui permit de protéger efficacement la famille contre les risques qu'auraient pu faire courir des excités comme il en existe toujours dans les périodes troubles. Ils allèrent même, pour satisfaire les délires de certains de leurs concitoyens, jusqu'à faire abattre la croix qui surmontait le clocher de l'église, signe évident de ralliement de la prêtraille, et à la faire remplacer par un drapeau tricolore surmonté d'un bonnet phrygien.
Alexandre goûtait peu ces palinodies, même s'il les jugeait lui aussi nécessaires. Mais comme il ne savait pas rester inactif, il alla offrir ses services à la municipalité. On l'élut d'abord commissaire à l'emprunt forcé, ce qui ne lui souriait guère. Mais bientôt le conseil trouva une meilleure manière d'utiliser ses compétences. Il fut élu chef des ateliers destinés à récolter le salpêtre, autrement dit le nitrate de chaux nécessaire à la fabrication de la poudre. À une époque où sa production synthétique était inconnue, on le récoltait en grattant délicatement les murs des bâtiments et des étables. La Convention y attachait beaucoup de prix. Berthier accepta ce travail et se mit à la tâche avec sa conscience habituelle. Il sut se montrer si poli, si correct, si diplomate, si sociable dans ses relations avec les gens chez qui il faisait intrusion avec ses équipes de gratteurs, que sa popularité connut un essor formidable et que toute la population émit bientôt le souhait qu'il fût élu administrateur du district de Senlis. Or, c'était précisément ce qu'il voulait éviter : être mis trop en avant. Il eut beaucoup de mal à empêcher ses supporters de matérialiser leurs voeux, les assurant qu'il était bien trop occupé par ses présentes fonctions, lesquelles étaient d'un intérêt essentiel pour la poursuite de la guerre.
Cependant, la situation politique de la France évoluait. En juillet 1794, Robespierre et sa faction disparurent, balayés par la réaction thermidorienne qui ramena au pouvoir des modérés. La terreur prit fin. Pourtant, Berthier attendit encore six mois avant de se manifester et d'entreprendre des démarches pour obtenir sa réintégration. Le 11 février 1795 (23 pluviôse an III), il adressa une nouvelle pétition au Comité de salut public dont les membres n'étaient plus les mêmes. Elle était accompagnée d'une série de lettres élogieuses comme les précédentes et, de plus, soulignait que Berthier avait été en quelque sorte une victime du ministre Bouchotte « intrigant et imbécile », écrivit de lui Marie-Joseph Chénier, précisément député de Seine-et-Oise. Avoir été persécuté sous Robespierre était à présent un brevet de civisme. Aussi le Comité de salut public décida de nommer une commission qui examinerait le cas Berthier.
Celle-ci fut fortement influencée par le nouveau président de la Convention, un des hommes les plus importants du moment ; c'était Barras. S'étant fait communiquer son dossier, il s'intéressa à Berthier d'autant qu'il recherchait les militaires compétents. Mis au courant de cette intervention, Berthier allait dans un premier temps lui vouer une reconnaissance qui cinq ans plus tard se transformerait en haine pour des raisons de nature tout à fait personnelle.
Le rapport de la commission fut des plus élogieux. Il soulignait que « 27 années d'études et de travail dans l'art de la guerre lui ont acquis des talents militaires sous le rapport des reconnaissances, des ouvrages de campagne… et de tout ce qui tient à la partie de l'état-major des armées…, organisation, tactique des différentes armes ». Aussi concluait-il en recommandant la réintégration de Berthier. Le ministre y souscrivit le 14 mars 1795 et, en même temps, lui précisa qu'il était nommé chef d'état-major des deux armées des Alpes et d'Italie pour l'heure commandées par Kellermann, qui du reste le réclamait à cor et à cri.
La situation qu'il découvrit en arrivant au quartier général des deux armées n'était rien moins que brillante. Il s'en doutait un peu et écrivit à son ami Clarke : « J'ai trouvé tout dans la plus entière désorganisation. Jamais je n'ai vu une armée si délabrée. » Tout en coiffant
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