Le Maréchal Berthier
gouvernement, le Directoire, songea à le remplacer, la question étant : par qui ?
Berthier était toujours à Grenoble, à l'armée des Alpes qui demeurait sur ses positions. L'hiver précoce avait interrompu les opérations sur ce front et Berthier en profitant, en plein accord avec son patron, écrivit à Clarke : « Il faut dans ce moment même s'occuper de la prochaine campagne, car c'est une erreur de croire qu'elle s'ouvre plus tard dans les Alpes que partout ailleurs… Il faut que les armées des Alpes et d'Italie agissent de concert et exécutent un plan combiné ; et je le répète, être prêt avant l'ennemi, c'est doubler les moyens. »
Profitant de l'inaction, il réorganisa son état-major, gardant comme adjoint le général Piston et complétant son personnel pour le mettre en état de participer aux prochaines opérations. Mais son activité fut interrompue au début de 1796. Alors que le 1 er janvier, il inspectait des cantonnements autour de la ville, son cheval glissa sur une plaque de glace et s'abattit. Berthier eut la jambe prise sous sa monture. Il fut promptement dégagé, mais un examen révéla une fracture du tibia. Son médecin lui ordonna de rester allongé pendant une période indéterminée. Il se fit alors transporter à Chambéry pour être à proximité d'Aix, car son docteur préconisait une cure thermale pour parachever la guérison. Cette immobilisation devait durer trois semaines, le blessé se remettant plus rapidement que prévu. Il profita de cette inaction pour rédiger un mémoire destiné au gouvernement. Sous le titre : « Dispositions provisoires », c'était en fait un règlement du service d'état-major concernant aussi bien ceux des armées que des divisions. Le travail y était réparti entre quatre services comme il l'avait expérimenté l'année précédente. En outre, ce projet posait un certain nombre de principes tels que la promptitude dans l'expédition des ordres, l'exactitude et la minutie dans le travail, la concision du style et le dévouement absolu aux désirs du général en chef ainsi que l'emploi des ingénieurs géographes dans tous les états-majors.
Depuis les débuts de la Révolution et la dissolution de l'ancien service, personne n'avait jamais posé les principes de fonctionnement d'un état-major. Parvenu à Paris, le mémoire fut lu avec attention par plusieurs des directeurs et en particulier Barras. Il savait que plusieurs généraux en avaient demandé l'auteur comme chef d'état-major dans les années écoulées. Se souvenant que c'était lui qui l'avait fait affecter comme chef d'état-major aux armées des Alpes et d'Italie, il résolut de lui donner une place importante dans la combinaison qu'il était en train de mettre sur pied.
Au début de février 1796, Scherer n'avait pas encore été relevé de son commandement mais savait que son remplacement serait imminent. Pour lui succéder, il ne voyait guère que Masséna, excellent tacticien, rompu à cette forme particulière de combat qu'était la guerre de montagne et qui connaissait particulièrement bien la région. Il pensait (et son entourage avec lui) que ce choix ne poserait aucun problème, car étant franc-maçon de haut grade, ce général disposait de sérieux appuis.
Tout de même, Scherer était inquiet. Il avait ses informateurs dans la capitale et était tenu au courant des intrigues d'un général sans aucun titre ni capacité pour être nommé à sa place. Il écrivit même à son sujet : « Bonaparte qui assiège le Directoire et le ministre de projets plus insensés les uns que les autres… » Barras, protecteur de Bonaparte, tenait à lui faire donner un commandement pour le récompenser de l'aide qu'il lui avait apportée dans la répression de l'insurrection du 13 Vendémiaire. Il savait bien que c'était là son seul titre, avec sa participation au siège de Toulon. Mais il venait de lui rendre un signalé service en le débarrassant d'une vieille maîtresse fort encombrante qu'il avait accepté d'épouser. Aussi songeait-il à Bonaparte pour remplacer Scherer à l'armée d'Italie, quoique en dehors de l'artillerie il ne connût rien aux autres armes. Certes, c'était un stratège de génie, mais cela, personne ne le soupçonnait encore. D'ailleurs, Carnot, son collègue au Directoire, et organisateur des armées victorieuses de la Convention, l'avait jugé et l'estimant vantard, incapable et ignare, s'opposait de toutes ses forces à sa nomination. Il
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