Le Maréchal Berthier
finit pourtant par céder, non pas convaincu par le génie de Bonaparte, mais parce qu'il pensait que le front italien serait tout à fait secondaire dans la campagne de 1796 contre l'Autriche et que ce serait en Allemagne, où commandaient deux généraux de talent, Jourdan et Moreau, que la France arracherait la victoire et obtiendrait la paix.
De son côté, Barras, conscient des faiblesses et lacunes de son poulain, crut trouver la solution en le flanquant d'un très bon chef d'état-major. Son choix se porta sans hésiter sur Berthier, sans doute le meilleur de l'armée française. Ce faisant, il répondait aux voeux secrets de ce dernier qui pressentait que si un rôle devait être joué sur le front du sud-est ce serait par l'armée d'Italie et non par celle des Alpes. Le 2 mars, le Directoire prit deux arrêtés, le premier nommant Bonaparte général en chef de l'armée d'Italie et le second lui donnant Berthier comme chef d'état-major.
L'armée d'Italie en avait à ce moment un fort compétent en la personne de Gaultier de Kerveguen. Lui et Berthier avaient eu l'occasion de collaborer et de s'estimer mutuellement. Mais Kerveguen, assez âgé (59 ans) et en mauvaise santé, n'était plus en état de remplir ses fonctions.
IV
LES DÉBUTS D'UNE COLLABORATION
(1796-1798) C'est une légende aussi tenace que fausse qui veut que Bonaparte ait fait le choix de son chef d'état-major et qu'en désignant Berthier, il ait donné un exemple de son génie et de son expérience profonde de la nature humaine. En réalité, les deux hommes ne se connaissaient pas, et si Bonaparte avait peut-être entendu parler de Berthier, dont la réputation comme chef d'état-major n'était plus à faire dans l'armée française, pour celui-ci, en revanche, le nouveau général en chef était un parfait inconnu.
Il lui était précisé, dans son décret de nomination, que Bonaparte passerait par Marseille pour se rendre au quartier général de Nice et suivrait la route de la côte. Berthier fit donc savoir au quartier général qu'il irait au-devant de lui et comptait le rencontrer à Antibes où il arriva le 23 mars. Il descendit, ainsi qu'il l'avait prévu, à l'auberge Agarrat, précédant son nouveau patron de vingt-quatre heures. Il en profita pour écrire à son ami Clarke en lui soumettant un projet d'opérations pour l'armée des Alpes tant il était peu certain de demeurer avec Bonaparte. Lorsque celui-ci arriva le lendemain, il avait pris une attitude froide, réservée et conservait un profil bas. Barras l'avait mis en garde. Il allait commander une bande de durs à cuire qui avaient noms Masséna, Augereau, Sérurier, Stengel, Laharpe, Macquard… Leurs brillants états de service confirmaient leur expérience. Ce n'était pas son cas. Quant au chef d'état-major qui lui était imposé, il était âgé de seize ans de plus que lui, était plus ancien dans le grade de général de division et connaissait à la perfection le fonctionnement d'un état-major, ce qui était loin d'être le fait de Bonaparte. Ceci explique son comportement jouant la modestie. Leur conférence, à peine esquissée le 24, dura toute la journée du lendemain. Le nouveau général en chef qui avait pu craindre de trouver en son chef d'état-major sinon un rival, au moins un critique et probablement un mentor cherchant à lui en imposer, fut à la fois rassuré et satisfait de la manière dont Berthier se comportait. Il se montra déférent, poli, comme on savait l'être sous l'ancien régime, n'étala pas sa science et se contenta de répondre de manière brève et précise aux questions de son interlocuteur. Sa prodigieuse mémoire lui avait permis d'emmagasiner une foule de détails qu'il put ressortir sans hésiter et sans se couper. Bonaparte, à qui on n'avait pas caché que Berthier n'avait jamais été homme à faire manoeuvrer des bataillons, comprit qu'il avait trouvé en lui le technicien qui comblerait les lacunes de ses propres connaissances. L'accord entre ces deux hommes, pourtant si différents, fut immédiat, d'autant que Berthier sut se montrer serviable sans être servile. Il semble toutefois qu'il mit Bonaparte en garde contre Masséna dont il connaissait le caractère difficile et qu'il savait avoir aspiré au poste de commandant en chef. Quant à l'armée dont Bonaparte prenait le commandement, elle comptait 52 000 fantassins, 3 500 cavaliers et 5 300 artilleurs et sapeurs. Formant six divisions, sans être dans l'état de
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