Le Maréchal Berthier
Il n'en restait presque plus et le réapprovisionnement posait d'énormes problèmes. La chance de Bonaparte tint à ce que Mélas, âgé, fatigué, était quelque peu démoralisé après l'attaque surprise de Desaix. Surtout que son chef d'état-major, le général Zachs, qui avait été fait prisonnier au cours de cette seconde bataille, avait pour habitude de lui remonter le moral en cas de crise. Son absence allait peser sur ses décisions. Il envoya, des le 15 juin, un parlementaire, le prince de Liechtenstein, au quartier général français. Celui-ci y fut d'autant mieux accueilli que, de son côté, Bonaparte désirait négocier un armistice. Mais, en excellent négociateur qu'il était, le Premier Consul se montra d'autant plus exigeant qu'il savait sa situation précaire. Il rejeta donc les propositions autrichiennes et dicta les siennes. Comme il avait prévu de retourner à Milan pour y rétablir la République cisalpine, ce fut Berthier qui, en tant que général en chef de l'armée française, fut chargé de négocier la suspension d'armes. Il avait été légèrement blessé au bras pendant la bataille, mais ce handicap n'altéra en rien sa détermination. Après avoir pris les mesures nécessaires au réapprovisionnement de ses troupes, il se rendit dans l'après-midi au quartier général de Mélas, accompagné du général Zachs. Ils y trouvèrent l'état-major autrichien en plein désarroi et les négociations aboutirent, la nuit même, à la signature d'un armistice dit « d'Alexandrie ». L'Autriche y cédait à la France la Lombardie, le Piémont et la Ligurie. Dans ses commentaires sur cette campagne, le général et historien suisse Jomini écrivit que « jamais une bataille depuis Louis XIV n'avait eu des suites aussi importantes ». Il aurait pu ajouter : « Une bataille aussi péniblement gagnée ! »
L'armée autrichienne était laissée libre de se retirer jusqu'à Mantoue, ce qui était bien la moindre des choses, et Mélas, complètement dépassé, s'en montra satisfait. Il n'allait pas tarder, du reste, à être relevé de son commandement. Dans l'euphorie de la victoire, sentant qu'il ne serait peut-être pas tellement politique d'insister, Berthier et Zachs avaient défini d'une manière assez vague la frontière entre les possessions françaises et autrichiennes ; et dans les mois à venir ce serait là la source de nombreuses frictions. De toute manière, la transformation de la convention d'armistice en traité de paix dépassait largement la compétence des deux signataires et nécessiterait l'accord des deux gouvernements. Une conférence allait sans doute se tenir pour en discuter les termes et il était à craindre que Vienne n'acceptât aussi facilement que Mélas la perte des provinces italiennes.
Il y eut en tout cas quelqu'un en France que cette suspension d'armes mécontenta violemment. Ce fut Moreau dont la marche victorieuse en Allemagne se trouva, par contrecoup, interrompue, car il fut contraint de signer lui aussi un armistice (Parsdorf, 15 juillet).
Au lendemain de Marengo, Bonaparte était donc retourné à Milan, décidé à réorganiser la République cisalpine sur le modèle de la française. Trois consuls furent désignés, le premier d'entre eux n'étant autre que le marquis Visconti. Le choix de ce dernier s'opéra à la demande de Berthier et Bonaparte y répondit d'autant plus favorablement que cette requête l'amusait. Le marquis recevait ainsi le prix de sa complaisance et ses nouvelles fonctions le tiendraient éloigné de Paris pour ne pas gêner les amoureux ! Pour remercier Alexandre, avec qui il entretenait des relations amicales (c'est sans doute le point le plus incongru de la situation), le marquis lui fit envoyer au nom de la république un cadeau somptueux. C'était un sabre dessiné par le célèbre portraitiste Appiani. Il peut paraître curieux que l'on ait demandé à un peintre de concevoir un tel objet.
Au lendemain de la signature à Alexandrie, Berthier donna des ordres à Dupont pour occuper les douze places fortes livrées à la France. Il récupéra ainsi des équipements et surtout des munitions en abondance, car il en avait vraiment besoin. Toutefois, le retrait de l'armée autrichienne ne s'opérait pas avec la célérité souhaitée pour des raisons d'ailleurs indépendantes de sa volonté. Bonaparte, toujours impatient, s'en inquiéta et Berthier s'employa à le rassurer, car il était certain de la bonne foi de ses
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