Le Maréchal Berthier
secrète la négociation le plus longtemps possible et le Premier Consul pouvait compter sur la discrétion d'Alexandre. Or, prévenu par on ne sait quelle indiscrétion, un journal de Paris, la Clef du cabinet , publia dans les premiers jours d'août un article annonçant à la fois le départ de Berthier et la récupération de la Louisiane comme le but de son voyage. Cette indiscrétion produisit le plus mauvais effet sur la cour de Madrid au point qu'il fut, un instant, question d'annuler le déplacement. Puis les choses se calmèrent et Berthier, qui se demandait si l'auteur de la révélation n'était pas Alquier qui n'avait pas caché que la venue du général lui paraissait sans objet et lui faisait rien moins que plaisir, partit dans la deuxième quinzaine d'août.
Du coup, Alquier qui avait jusque-là mené les négociations avec une certaine nonchalance voulait, lorsque Berthier débarquerait à Madrid, qu'il n'ait plus qu'à signer un traité dont lui, Alquier, pourrait s'attribuer tout le mérite. Mais Talleyrand qui n'avait en son ambassadeur qu'une confiance limitée rédigea un projet et l'envoya au général toujours en route. Il se résumait en quatre points : 1) Agrandissement d'au moins un million d'habitants pour le duché de Parme qui deviendrait un royaume (ce sera le royaume d'Étrurie).
2) Rétrocession de la Louisiane et de la Floride à la France.
3) Cession à la France de dix vaisseaux de guerre armés.
4) Alliance entre les parties contractantes au cas où le traité porterait ombrage à une autre puissance.
La reine d'Espagne tenait énormément à cette transformation du duché en royaume, et le Premier Consul n'y voyait aucun inconvénient, ce qui peut paraître curieux chez le représentant d'une république qui s'était donné pour vocation d'abattre les rois !
Bonaparte se faisait beaucoup d'illusions sur la marine de guerre espagnole, mais ne serait pas de sitôt détrompé.
Berthier arriva à Madrid le 3 septembre ; il avait voyagé vite. Dès le surlendemain, il se rendit à la cour où il fut chaleureusement et même amicalement reçu. Il réussit d'emblée à mettre la reine dans son jeu, et comme elle faisait la pluie et le beau temps, les négociations furent d'autant facilitées. Tout se déroulait donc pour le mieux et pourtant Berthier ne se plut pas en Espagne. Dès le 15 septembre, il écrivait à son ami Junot en lui décrivant les conditions atroces de son voyage : chaleur, inconfort, poussière et il concluait que le pays ressemblait à l'Égypte… en pire ! Il se déclarait fatigué, malade et ne cachait pas qu'il serait très content lorsqu'il pourrait rentrer, « frémissant à l'idée de rester trois mois ».
Ce fut pourquoi il mena les négociations aussi vite qu'il put, surprenant ses interlocuteurs peu habitués à travailler avec une telle célérité. Pour sa part, le roi semblait ravi de voir un homme qui pouvait agir aussi vite. Sur un seul point Berthier n'obtint pas satisfaction : la guerre avec le Portugal. Charles IV était réticent à la déclarer à des parents, alors que son tout-puissant ministre Godoy voulait hâter le conflit car il entrevoyait la possibilité de se tailler une principauté indépendante aux dépens du Portugal. Mais le roi arguait que son armée n'était pas prête et Berthier ne le constatait que trop. Finalement, le principe en fut retenu et la mise en oeuvre différée. Ce serait un peu plus tard Lucien Bonaparte qui remplaça Alquier et qui eut l'honneur de mener ce conflit… qui dura trois jours (guerre des Oranges).
Sa mission touchant à son terme, Berthier se préparait à rentrer en France d'autant qu'il savait que le poste de ministre de la Guerre l'y attendait. Mais avant son départ il eut un geste qui suscita beaucoup d'admiration chez les Espagnols et qui prouve qu'il pouvait se montrer plein de sollicitude et de bonté. Presque par hasard, dans la rue, il fut accosté par un mendiant qui demandait la charité en français. Étonne, il l'interrogea et apprit qu'il faisait partie d'un groupe de marins et de soldats prisonniers des Anglais, que ceux-ci avaient libérés en les mettant à terre à Cadix et à Lisbonne. Sans argent, sans moyens, personne ne s'étant intéressé à leur sort, ils mendiaient leur pain pour regagner leur patrie. Indigné, Berthier prit immédiatement les choses en main. Alquier à qui il s'en ouvrit déclara qu'il n'avait aucun crédit pour aider ces malheureux et ne pouvait
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