Le Maréchal Berthier
d'ailleurs s'expliquer sur ce chiffre, cela représentait à peu près vingt-sept kilomètres par jour, soit sept heures de marche. C'était très réalisable sans excès de fatigue pour les soldats. Certes, il faudrait compter avec des retards imprévisibles dus aux intempéries et aux avaries du matériel. Mais surtout il fallait organiser dans vingt-quatre étapes le ravitaillement tant pour les hommes que pour les chevaux, leur logement et prévoir des hôpitaux pour les malades. Surtout que cinq corps d'armée emprunteraient seulement trois routes, ce qui voulait dire que les mêmes localités auraient à fournir vivres et fourrage à plusieurs unités successives. Comme les trois itinéraires traversaient la France ou des régions annexées, il était hors de question de procéder à des réquisitions brutales comme c'était la coutume en pays ennemi. Tout devait être acheté le plus régulièrement du monde. Le seul problème du pain était énorme car, sur les trois routes, le nombre des fours risquait d'être insuffisant, et il faudrait prévoir la cuisson de fournées plusieurs jours à l'avance.
Pourtant, l'état-major général, aidé dans sa tâche par les états-majors des corps d'armée, réussit ce tour de force de déplacer cent cinquante deux mille hommes dans les délais prescrits car, dès le 26 septembre, ils étaient en place.
Durant la traversée de la France, Berthier et l'état-major général étaient demeurés à Boulogne. S'ils n'avaient pas bougé, ils avaient beaucoup écrit. Lorsque l'empereur revint pour quelques jours à Paris, Berthier l'accompagna. Ils apprirent que les Autrichiens commençaient à bouger. Ils avaient franchi l'Inn alors que la concentration des troupes françaises n'était pas achevée. Napoléon avait déjà en tête la manoeuvre qui allait conduire à la victoire d'Ulm. Pour mieux tromper l'adversaire et lui faire croire qu'il se proposait de traverser la Forêt-Noire, il décida d'y envoyer Murat battre l'estrade et surtout y constituer des dépôts de vivres. Encore un travail supplémentaire pour Berthier et son équipe.
Les deux hommes quittèrent Paris pour Strasbourg, le 24 septembre, et y arrivèrent, le 26. L'empereur s'était fait construire une berline très confortable, lourde et qui nécessitait un attelage de six forts chevaux. Seul Berthier y prenait place à ses côtés. Éclairée par les fenêtres des portières, elle était munie d'une grosse lanterne à l'arrière pour donner de la lumière la nuit. Très bien aménagée, elle permettait aux deux voyageurs de travailler, de bavarder, d'étudier des documents. Un grand nombre de tiroirs servaient à serrer les missives qu'ils voulaient conserver. Les autres, découpées à coups de ciseaux par l'un ou par l'autre, étaient lancées par les fenêtres et atterrissaient souvent sur les cavaliers de l'escorte. Dans les poches des portières, s'entassaient les journaux apportés chaque jour et jetés après lecture. La berline comprenait aussi une petite bibliothèque, car Napoléon lisait beaucoup, mais les ouvrages qui ne lui plaisaient pas prenaient le même chemin. Un nécessaire de toilette complétait l'accessoire. Le siège de l'empereur se dépliait et il était possible d'étendre un matelas replié dessous sur lequel Napoléon se reposait ou dormait. En revanche, le fauteuil de Berthier demeurait fixe et il était obligé de dormir assis.
Grâce à l'agencement de la voiture, les deux hommes pouvaient rouler de jour et de nuit et parcourir rapidement des distances considérables, mais l'épreuve était pénible pour l'escorte ou les officiers qui, tel le grand écuyer, faisaient tout le trajet à cheval.
Le service de Napoléon en campagne était un curieux mélange de familiarité et d'étiquette aussi rigide que dans un palais. Si, suivant la vieille tradition de la Révolution, il tutoyait facilement les gens et employait même dans sa conversation les termes les plus vulgaires, il exigeait qu'on le vouvoie. Seul le maréchal Lannes, par un curieux privilège, continuait à le tutoyer. Berthier était trop bien élevé pour se permettre la moindre familiarité, même s'il arrivait à Napoléon de le rudoyer ou, lorsqu'il était de bonne humeur, de le faire enrager en se moquant de lui et de la marquise.
Lorsqu'ils se déplaçaient ainsi à travers l'Europe, Napoléon prenait, en principe, ses repas seul. Mais c'était le privilège d'Alexandre de les partager. Murat, par
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