Le Maréchal Jourdan
gagné par les idées nouvelles, il avait très tôt rallié la Révolution qu’il avait
servie avec fidélité et compétence. Devant l’assistance médusée, il
déclara :
« Lorsque la Révolution éclata, le jeune Davout resta fidèle à ses drapeaux. Il
croyait que le devoir d’un Français est de défendre le sol de la patrie contre toute
invasion étrangère. » Et, un peu plus tard, il insista :
« Davout embrassa les idées de la Révolution avec la chaleur de son
âge ! »
À l’inverse de beaucoup de membres de son milieu, il n’avait jamais
songé à émigrer et avait même été l’officier qui avait failli titercepter Dumouriez
lorsqu’il était passé à l’ennemi. Dans un plaidoyer quelque peu
acrobatique, Jourdan tenta de dissocier le rôle de la famille royale de celui des chefs de
l’émigration et flétrit ces derniers par des paroles grandiloquentes. Mais
c’était d’autant plus difficile que toute l’assistance savait
pertinemment que le roi et surtout son frère en avaient été les véritables animateurs.
Après avoir souligné la manière brillante dont il avait été le principal vainqueur de la
campagne de 1806 à Auerstaedt, il ne manqua pas de rappeler également la façon dont Davout
avait défendu le prestige de la France, alors qu’assiégé dans Hambourg, il avait
refusé de capituler et repoussé tous les assauts même quand il n’avait plus eu aucun
espoir d’être secouru. Jourdan eut tout de même la sagesse de passer sous silence un
épisode du siège, précisément lorsque des officiers français, porteurs de drapeaux blancs
fleurdelisés, avaient tenté d’entrer en contact avec lui et que Davout, fidèle aux
couleurs tricolores de l’Empire, n’avait pas hésité à leur faire tirer
dessus. Par contre, il crut devoir souligner avec quelle efficacité il avait mis sur pied en un
temps record « d’immenses ressources militaires » comme
ministre de la Guerre pendant les Cent-Jours, en 1815. Après quoi il rappela qu’il
s’était montré bon mari et père de famille modèle.
Mais, tel qu’il était, le discours de Jourdan apparaissait suffisamment subversif
tout en se donnant des airs d’adulation pour le gouvernement. Il fut chaleureusement
applaudi par une partie de l’assistance, en particulier, d’anciens
officiers pensionnaires de l’hôtel des Invalides qui n’avaient pas hésité
à « faire le mur », désobéissant aux ordres du gouverneur pour faire acte
de présence. Un bon nombre de personnes présentes ne cachèrent pas leur désapprobation en
observant un silence glacial. Le discours déplut (mais pouvait-il en être
autrement ?) en haut lieu. Toutefois, Villèle, le nouveau président du Conseil, se
rappelant le mal qu’il avait eu à trouver un maréchal qui voulût bien prononcer cet
éloge funèbre, eut l’habileté de préférer étouffer l’affaire, et ce que
d’aucuns considéraient comme un scandale n’eut pas de lendemain.
Simplement, lorsqu’il fallut répéter l’éloge de Davout devant la Chambre
des pairs, ce fut Suchet qui en fut chargé. La leçon avait porté. Il se contenta
d’évoquer sa carrière militaire, assez riche en elle-même.
Jourdan, qui ne voulait à aucun prix se brouiller avec la monarchie constitutionnelle
qu’il jugeait être le meilleur système pour la France, se contenta dès lors de
cesser de se faire remarquer par des écarts de langage. On lui en sut gré et, du moment
qu’en dehors de siéger à la chambre haute il se contentait, nul ne
l’ignorait, de se consacrer à la rédaction de ses mémoires, tout était pour le
mieux.
Un an plus tard, lorsque Louis XVIII mourut, il y eut comme une lune de miel entre le
maréchal et le nouveau roi qui savait se montrer charmeur. Jourdan, alors âgé de soixante-cinq
ans, ne pouvait plus songer qu’à jouer un rôle représentatif. Mais Charles X voulait
gagner la sympathie de ce vétéran et, grâce à de nouvelles faveurs qu’il lui accorda
(Jourdan y était toujours sensible), il y parvtit aisément. Ce phénomène est
d’autant plus étonnant que Charles X se comportait bien davantage que son frère en
souverain de droit divin, sûr de la légitimité de son pouvoir, tout le contraire de ce que
Jourdan avait apprécié chez Louis XVIII.
Aussi, lors de la cérémonie de son couronnement, le 29 mai 1825, lui
réserva-t-il un
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