Le Maréchal Jourdan
rongeait. Inquiet et tenu au courant de l’évolution de sa
maladie, le roi faisait prendre presque quotidiennement de ses nouvelles. Une des dernières
joies de Jourdan fut de revoir sa fille aînée. Apprenant l’état de santé de son
père, elle fit sans hésiter le voyage de Naples à Paris et y arriva deux jours avant son décès.
Mais, avant de la recevoir, le maréchal demanda un miroir, s’y contempla et
déclara : « Dieu, que ma fille va souffrir de me voir dans cet
état ! »
Il ne se faisait aucune illusion sur la gravité de son mal et mourut le 23 novembre
en fin de matinée, entouré de sa femme et de sa fille.
Son décès provoqua une consternation générale, car il ne laissait que des regrets. Ses prises
de position ultra-jacobines étaient depuis longtemps oubliées, et on ne se souvenait que du
glorieux vainqueur de Fleurus ainsi que de l’homme au caractère aimable et ouvert,
toujours prêt à accueillir les moindres des solliciteurs. Le général Fririon fit publier un
bref ordre du jour pour annoncer une nouvelle que beaucoup attendaient :
« Nous venons de faire une perte bien douloureuse dans la personne de notre illustre
et vénérable gouverneur, Monsieur le maréchal comte Jourdan ; il a cessé de vivre
aujourd’hui à midi et demi. C’est avec l’affliction la plus
profonde que j’ai transmis cette nouvelle aux militaires qui
l’apprendront avec la même peine que sa famille, l’armée et la France
entière. »
Le roi et le gouvernement décidèrent qu’il aurait droit à des obsèques nationales.
Elles furent célébrées le 27 novembre en l’église des Invalides. Les
maréchaux Soult et Mortier, les généraux Colbert et Fririon, tenaient les cordons du poêle.
Dans l’église, se côtoyaient nombre de maréchaux et de généraux ainsi que des
ministres représentant le roi. Mais il dut y avoir dans l’assistance plus
d’un personnage qui ne put s’empêcher de penser au caractère un peu
insolite de la cérémonie. Tant de pompe et de liturgie pour un défunt demeuré notoirement
anticlérical et qui était décédé, chuchotait-on, en ayant refusé de recevoir les derniers
sacrements, malgré les supplications de sa femme. Le maréchal Mortier et les généraux Fririon
et Solignac prononcèrent l’éloge funèbre du défunt. Mortier le fit une seconde fois
devant la Chambre des pairs. La presse fut unanime à célébrer le disparu comme un des plus
fermes piliers de la dynastie. Seule note discordante, Armand Carrel écrivit dans Le
National qu’au fond du coeur, Jourdan était resté républicain et
n’avait accepté la monarchie de Juillet que comme un pis-aller ; opinion
excessive due à la plume d’un opposant farouche au régime qui ne manquait pas une
occasion de l’attaquer.
Jourdan, en tant que gouverneur, fut inhumé dans la crypte des Invalides, parmi
d’autres gloires militaires. Il y repose toujours, encore que les autorités
locales de Limoges aient entrepris, en vain, des démarches pour voir sa dépouille ramenée dans
sa terre natale.
Mais de quoi est mort Jourdan ?
L’autopsie pratiquée par des médecins aussi célèbres que Larrey et Ribes révéla la
présence d’une énorme tumeur située dans la région du coeur, de
l’oesophage et de la trachée-artère, ainsi que « seize onces de
sérosité purulente ». La tumeur était-elle d’origine
cancéreuse ? C’est assez probable, encore que Jourdan ne semble pas en
avoir particulièrement souffert. De toute manière, la science médicale, dans les années 1830,
n’aurait pas été capable de diagnostiquer ni même de soigner ou d’opérer
ce type de mal. Une rumeur persistante voulut qu’en réalité le maréchal soit mort du
choléra dont l’épidémie sévissait toujours. Étant donné la longueur de sa maladie,
c’est peu probable, mais il n’est pas exclu que cette affection se soit
attaquée à un organisme affaibli et en ait précipité la fin.
Après lui ne subsistaient plus que huit maréchaux d’Empire.
La maréchale Jeanne Jourdan allait survivre sept ans à son mari. Discrète, effacée, elle se
retira à Limoges dans sa famille, après avoir vendu son hôtel de Paris. Mais elle conserva Le
Coudray. Le gouvernement lui accorda une pension de douze mille francs qui lui permit de vivre
décemment. Il aurait pu se montrer un peu plus généreux. Elle
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