Le Maréchal Jourdan
conditions qui ne pouvaient que conduire à un échec. Mais c’était déjà chez
lui ce réflexe qui lui faisait ne pas savoir refuser un poste de peur de voir, par contrecoup,
compromise sa situation.
Entre Bonaparte et Jourdan, il n’y eut jamais aucun mouvement de sympathie ni même
de cordialité. Le premier, chez qui la rancune était un sentiment puissant, en voulut toujours
au second et, du coup, son jugement faussé alla jusqu’à mettre en doute ses capacités
militaires. À Satite Hélène, il se laissa aller à confier à Las Cases :
« Il était sans résolutions et imbu des plus faux principes de
guerre… », ce qui montre jusqu’à quel potit pouvait aller
l’erreur de jugement de l’empereur. On aurait pu lui répondre que Jourdan
avait donné à la France la rive gauche du Rhin et que lui, avec tout son génie,
l’avait perdue. Ce n’est qu’au moment du coup d’État
de Brumaire que Jourdan avait tenu l’avenir de la France entre ses mains et avait
balancé sur la conduite à tenir, ce que Bonaparte ne pouvait oublier. Si ce sincère républicain
avait été se mettre à la tête de la garde du Directoire qui ne demandait qu’à le
suivre, Bonaparte et ses complices auraient fini fusillés, le lendemain. Mais Jourdan était trop
honnête pour sauver un régime aussi corrompu et discrédité que le Directoire ; il ne
discernait aucune personnalité parmi les hommes politiques capables de prendre la tête du pays. A priori , ce que promettaient Sieyès et ses amis ne pouvait que le séduire. Il
n’imagina pas un instant que Bonaparte puisse confisquer la république pour y
substituer un pouvoir personnel. De là, sans doute, son comportement neutre à Satit-Cloud mais
qui conservait quelque chose de menaçant que ne pouvait admettre le premier consul. Il craignait
tellement Jourdan qu’il le porta sans hésiter sur la liste des proscrits. Et ce fut
la réaction violente de certains hommes politiques et d’une partie de
l’armée qui le contraignit à faire machine arrière et à en attribuer la paternité à
Sieyès. Ce fut le même souci de ménager l’armée qui l’amena à faire de
Jourdan un maréchal mais il le fit à petits frais. Jamais ce dernier n’eut droit à un
grand commandement, pas plus qu’à un titre de noblesse ou à une de ces dotations dont
la distribution tenait de l’arbitraire.
Son envoi en Espagne releva de la farce, mais une farce sinistre. On lui donna un titre
ronflant mais sans aucun pouvoir. Il n’était là que pour servir de conseiller à son
ami Joseph, incapable de commander une armée et qui, au demeurant, ne se conforma pas à ses
avis. Moyennant quoi, ce fut lui, Jourdan, qui servit de bouc émissaire et paya les erreurs de
l’autre. Mais s’il en souffrit, il supporta l’adversité avec un
tact, une constance et un stoïcisme admirables. Il fit même preuve d’une hauteur de
vues et d’un patriotisme exceptionnels en offrant de servir en 1814, au moment de
l’invasion de la France, alors que l’année précédente Napoléon
l’avait écarté et sanctionné avec la plus incroyable des mauvaises fois.
Dans de telles conditions, on comprend mal qu’en 1815, comblé
d’attentions par la Restauration, il se soit rallié à Napoléon qui, au demeurant,
l’accueillit sans trop de chaleur. Pensait-il que le retour impérial pourrait
durer ? Craignait-il, comme ce fut trop souvent le cas, de
« manquer » ? Il est difficile de trouver une explication
logique et rationnelle à sa conduite, et on peut dire qu’il avait bien mérité la
froideur de Louis XVIII au début de la seconde Restauration. Il eut la chance, à la fin
de sa vie, de se voir placer dans une position qui lui convenait parfaitement, sous un régime
politique pour lequel il se sentait les plus grandes affinités. En cela il fut plus heureux que
nombre de ses anciens camarades.
Sur un plan personnel et familial, il mena une vie exemplaire :
il eut, certes, le bonheur de rencontrer une femme qui avait beaucoup de qualités ;
bon mari et bon père, il aurait pu être cité comme modèle dans une période où de nombreux
couples n’étaient pas des parangons de vertu. Et l’exemple venait de
haut ! Un autre terrain où sa conduite fut irréprochable fut celui de
l’honnêteté. Alors que nombre de maréchaux et de généraux se conduisaient en pillards
dans les pays occupés, accumulant à leur profit les
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