Le Maréchal Jourdan
Ils y passèrent l’hiver 1791-1792 et les deux
lieutenants-colonels s’efforcèrent d’équiper
correctement leurs soldats, sans toutefois pleinement y parvenir. Ils
demeurèrent côte à côte jusqu’au prtitemps de 1792, où un ordre de
l’état-major les sépara. Le premier bataillon fut envoyé au fort de Charlemont, près
de Givet dans les Ardennes, tandis que, curieusement, le second partait pour Étampes, à un
moment où précisément la situation politique se gâtait et où, de pacifiste,
l’Assemblée législative devenait belliqueuse.
Depuis son élection (1 er octobre 1791), elle avait été en
opposition à peu près constante avec le roi mais, assez bizarrement, ils tombèrent
d’accord pour engager une politique d’hostilité systématique contre
l’Autriche et la Prusse. Il est vrai, et il faut le souligner, qu’ils
étaient inspirés par des motifs diamétralement opposés. Le roi était parfaitement au courant de
l’état de décomposition de l’armée française et espérait
qu’Autrichiens et Prussiens réunis la mettraient rapidement hors de combat puis
marcheraient sur Paris, pendraient tous les membres de l’assemblée et le
rétabliraient dans la plénitude de ses pouvoirs au nom de la solidarité monarchique.
L’assemblée, par contre, tablait naïvement sur l’enthousiasme et la
dynamique patriotique qu’elle s’efforçait d’insuffler aux
troupes pour battre des adversaires engoncés dans des principes tactiques surannés. Après quoi,
détrônant les rois, il serait possible d’enseigner les idées neuves et généreuses
aux peuples libérés. La France déclara donc la guerre aux deux autres puissances continentales,
le 30 avril 1792, et les opérations, dans les premiers mois, semblèrent
donner raison aux espérances de Louis XVI. Les troupes françaises se débandaient devant
l’ennemi et fuyaient à qui mieux mieux. Rien ne semblait pouvoir
s’opposer à une invasion. Les places fortes capitulaient les unes après les autres.
Verdun tomba le 2 septembre, et même les défilés de l’Argonne, que, dans le
langage fleuri de l’époque, le général Dumouriez nommait « les
Thermopyles de la France », furent forcés par les Prussiens. S’ils
avaient fait preuve de davantage de dynamisme, ils seraient arrivés à Paris sans difficulté. La
victoire de Valmy fut due autant au beau comportement de l’armée française
qu’à l’étrange attitude du duc de Brunswick, commandant en chef des
Prussiens. Ce franc-maçon de haut rang avait, paraît-il, reçu des recommandations de sa loge de
ne pas s’avancer jusqu’à Paris et il sauva la Révolution in
extremis .
Le bataillon de Jourdan ne demeura que peu de temps à Étampes. Y étant
arrivé dans les premiers jours d’avril 1792, il en repartit avant la fin du mois. La
guerre avait en effet été déclarée et le ministère estima que sa présence serait utile pour
renforcer les troupes sur la frontière Nord. Jusqu’au mois d’août il
demeura à Soissons en attente d’ordres et, au début de septembre, il cantonnait à
Maubeuge, rattaché à l’armée commandée par Rochambeau. Il est piquant de noter que
Jourdan avait déjà servi sous ses ordres en Amérique. Il ne participa donc pas de manière
active à la campagne de Valmy. Parvenu assez tard sur la frontière, il eut aussi la chance de
ne pas être présent au moment de l’offensive esquissée par Rochambeau en direction
de Quiévrain et de Tournai qui tourna court et s’acheva dans la confusion la plus
totale et une mini-déroute. Cette affaire amenait la preuve que les bataillons de volontaires
livrés à eux-mêmes n’étaient pas encore prêts à affronter un adversaire connaissant
son métier.
Pendant toute cette période, entre son départ de Limoges et son arrivée à la frontière,
Jourdan fut certes très occupé à parachever l’instruction et l’équipement
de son unité. Il disposait néanmoins de temps libre et écrivit de nombreuses lettres,
d’abord à sa femme, soucieux de la santé des siens et de la manière dont sa mercerie
fonctionnait, encore qu’il eût entièrement confiance en son épouse pour la
gérer.
Il entrettit également un courant épistolaire suivi avec la Société des amis de la
constitution, les tenant informés de la vie de son bataillon, de l’état
d’esprit des hommes et de ce qu’il
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