Le Maréchal Jourdan
les plus gros ou les personnages importants avaient le droit de vote ou pouvaient
prétendre être élus. De ce fait, le nombre des électeurs se trouvait fort réduit. Ils
n’étaient qu’un peu plus de deux cent cinquante pour le département de la
Haute-Vienne. Ce fut à une énorme majorité (deux cent vingt-six voix) que Jourdan fut élu
membre du bureau de l’assemblée électorale et, vu le nombre de suffrages qui
s’étaient portés sur son nom, il en récolta la présidence. Ainsi, ce résultat
laissait deviner celui de l’élection elle-même. Après lui, venait un certain Legrand
qui, avec deux cent cinquante-deux bulletins, exerça les fonctions de secrétaire ;
les trois autres, se contentant d’être scrutateurs, venaient encore plus loin
derrière.
Pour ce qui était du choix des députés qui eut lieu le lendemain, les candidats ne manquèrent
pas. Ils n’étaient pas moins de quinze entre les Cinq-Cents et les Anciens. Borda,
le sortant de la haute assemblée (qu’il ne faut pas confondre avec le
mathématicien), se représentait et fut péniblement élu au second tour de scrutin, ce que le
bureau nomma pudiquement : « la pluralité
relative » ! Par contre, pour les Cinq-Cents, Jourdan fut désigné
d’une manière triomphale, dès le premier tour, avec cent quatre-vingt-quinze voix
sur deux cent deux votants, une partie des électeurs étant déjà retournés chez eux. Il était
difficile de faire beaucoup mieux. Abandonnant une fois de plus sa mercerie, le général reprit
le chemin de Paris avant la fin du mois d’avril.
*
Jourdan ne connaissait rien tant sur le plan théorique que pratique des activités
d’un homme politique ni de la façon dont un membre d’une des deux
assemblées devait exercer ses fonctions. Aussi, avec sa prudence habituelle, décida-t-il dans
un premier temps de se comporter en auditeur plutôt qu’en acteur et
d’éviter de se mettre en avant. Pourtant, il fut contratit de faire fi de ses
résolutions dès son entrée au Conseil des Cinq-Cents. Celui-ci devait procéder après son
renouvellement partiel à l’élection de son nouveau président. Or, à présent,
l’assemblée comptait en son sein deux anciens généraux en chef qui
s’étaient illustrés l’année précédente et jouissaient de ce seul fait
d’une certaine notoriété : Jourdan et Pichegru.
À la suite des récentes élections, la majorité avait basculé de gauche à droite. Le plus
grand nombre des députés étaient à présent d’opinion plus royaliste que républicaine
et espéraient, sans s’en cacher, dans un avenir proche, restaurer la monarchie en la
personne soit de Louis XVIII, soit de son cousin le duc d’Orléans (futur
Louis-Philippe). Certes, Jourdan, s’il faisait acte de candidature « au
perchoir », pourrait compter sur les voix des députés républicains ; mais
ceux-ci ne formaient plus à présent qu’une minorité. Dès lors, ses chances de se
voir préféré à Pichegru dont les sympathies pour les royalistes étaient connues devenaient
nulles. Il le comprit et fit savoir autour de lui qu’il n’était pas
postulant au poste de président ; et il avança, afin d’étayer sa
position, qu’il était trop novice pour exercer ces fonctions (toujours le même
comportement prudent). Demeuré seul en piste, Pichegru fut élu sans rencontrer
d’opposition. Mais, quand ce résultat fut connu, aussi bien dans les armées
d’Allemagne que chez les républicains et même parmi les membres du Directoire, ce
choix fut considéré comme une offense faite à Jourdan alors que celui-ci prenait la chose avec
un calme olympien.
Ses opinions étaient, du reste, connues : républicain convaincu, il ne cachait pas
qu’il avait été très proche des Jacobins. Mais, à présent que ce club était fermé,
sans pour autant renier ses convictions, il commençait à les défendre avec moins de virulence,
s’éloignant ainsi peu à peu de certains de ses collègues qui, contre tout bon sens,
continuaient à s’en tenir à leurs principes de 1793. Il ne conserva de son ancien
extrémisme qu’un nombre restretit d’idées et en particulier son
anticléricalisme, ce qui peut paraître étonnant chez un ancien élève d’une
institution religieuse dont il gardait plutôt un bon souvenir.
Alors qu’il s’était promis de conserver en la matière une prudente
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