Le Maréchal Jourdan
curieusement, ceux-ci étaient pour moitié
républicains et pour moitié royalistes. Le premier consul avait ainsi cru pouvoir ménager les
susceptibilités alors que, dans leur ensemble, ils avaient espéré que les Autrichiens
chasseraient les Français d’Italie et leur ramèneraient leur roi. Marengo avait été
pour eux une cruelle déception. Ils voyaient désormais leur horizon bouché. Aussi, la venue de
Jourdan et ses dispositions d’esprit firent-elles renaître un certain espoir en eux
et ils se montrèrent tout prêts à répondre favorablement à ses ouvertures.
Comme ils avaient le sens de leurs titérêts, ils se hâtèrent de demander la réduction (la
suppression, il ne fallait pas y compter) de la fameuse contribution de guerre. Jourdan estima
la requête parfaitement justifiée. Brune, qui venait de remplacer Masséna, jugé un peu trop
soucieux de ses titérêts propres, partageait son opinion et se hâta de demander à Paris
qu’elle soit ramenée de dix-huit à dix millions par an. Dans le même temps, il
donnait des instructions sévères pour que les réquisitions de l’armée soient
limitées.
Les deux généraux firent remarquer que si le gouvernement français ne tenait pas compte de
leur requête, ils risquaient fort d’avoir à faire face à un soulèvement de la
population. Curieusement, ce fut Talleyrand qui, sans donner d’explications,
s’opposa à la réduction de la contribution. Mais alors Brune, passant par-dessus la
tête du pouvoir civil, après s’être entendu avec Jourdan, la réduisit de son propre
chef. En contrepartie, et pour bien faire comprendre que la France aurait le dernier mot,
Jourdan destitua le gouvernement piémontais jugé par lui trop indépendant et le remplaça par un
autre plus favorable à la France, mais qui n’était plus qu’une chambre
d’enregistrement des volontés de Paris.
Dans le même temps, l’administration purement piémontaise était peu à peu
remplacée par une gestion entièrement française qui avait tendance, sans que Jourdan
n’y pût rien, à mettre le pays en coupe réglée, même si cet état de fait laissait
présager l’annexion à court terme.
Les Piémontais constataient tristement que le présent était aussi pénible à supporter que le
passé lors de l’occupation russe. Ils décidèrent de tenter d’y mettre un
terme, quoiqu’ils sussent qu’ils n’auraient à compter sur
aucun appui extérieur. Pourtant des rumeurs circulaient, annonçant tant en Allemagne
qu’en Vénétie des succès autrichiens. Alors, un mouvement insurrectionnel se noua
que la police militaire française ne sut pas deviner. Deux bourgeois piémontais en étaient les
chefs, car les membres de la noblesse proches du roi n’avaient pas voulu
s’engager, jugeant l’aventure trop hasardeuse. Ces chefs se nommaient
Bonafide et Accosta. Le premier était notaire, le second avocat, et tous deux se disaient
ennemis de la France. Partie d’Aoste, la révolte éclata dans les premiers
jours de janvier 1801 et gagna rapidement Ivria. Comment les conjurés réussirent-ils à
se procurer des armes ? On ne le sait. Peut-être venaient-elles
d’Autriche par le Tyrol ? Le 13 janvier devait être le jour du
massacre général des Français. Les ambitions des insurgés dépassaient de beaucoup leurs moyens
de les mettre en oeuvre. Pourtant, profitant de ce que les Français étaient
complètement pris au dépourvu, ils parvinrent à réaliser quelques progrès, occupant un certain
nombre de villages où ils firent acclamer le nom du roi. Mais, bientôt, les troupes
d’occupation se ressaisirent d’autant mieux que, comme on était à la
veille de signer la paix de Lunéville avec l’Autriche, elles reçurent rapidement des
renforts. Dès lors, le sort de la rébellion était scellé. Les révoltés tentèrent
d’affronter en rase campagne les troupes régulières et furent dispersés. Les
villages furent tous enlevés. À la fin de janvier, tout était rentré dans l’ordre.
Les Piémontais s’attendaient à une répression sévère, d’autant
qu’en 1796-1797, dans des circonstances plus ou moins identiques, Bonaparte
s’était montré particulièrement brutal et même cruel. Mais telle n’était
pas la nature de Jourdan. Il était plutôt porté à la mansuétude et ses administrés lui en
surent d’autant plus gré qu’ils
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