Le Maréchal Jourdan
coup d’État, ne cacha pas sa façon de penser, franchement défavorable au
premier consul. Se sentant soutenu par l’opinion publique, Jourdan écrivit à Fouché,
ministre de la Police, ancien conventionnel et ancien Jacobin. Dans des termes très dignes et
très mesurés, Jourdan, tout en soulignant ce que la mesure avait d’inique et même de
révoltant, eut l’habileté de ne pas discuter la décision et demanda simplement un
passeport pour se rendre à La Rochelle. La réponse ne se fit pas attendre. Dès le
lendemain, Fouché l’invitait à passer le voir à son bureau, au ministère.
Alors que la majorité de ses amis et connaissances commençaient à prendre leurs distances
vis-à-vis de lui et que Lefebvre allait jusqu’à faire dire qu’il était
absent lorsque madame Jourdan se présenta chez lui pour le supplier d’titervenir en
faveur de son mari, un seul eut le courage et la dignité d’apporter publiquement son
soutien à Jourdan, l’accompagnant lors de sa visite à Fouché. Ce fut Bernadotte qui
prit sciemment le risque de se brouiller avec les autorités. Toute sa vie, Jourdan allait, dans
la mesure de ses moyens, lui donner des preuves de sa reconnaissance. Fouché les reçut très
cordialement. Il ne leur cacha pas qu’il avait montré la lettre de Jourdan à
Bonaparte, qui avait compris qu’il devait faire machine arrière. Suivant les dires
du ministre, il avait merveilleusement joué la comédie de la surprise. Après l’avoir
lue, il s’était écrié : « C’est l’abbé
Sieyès qui a fait prendre cet arrêté et c’est lui et ses affidés qui ont dressé la
liste. Je n’approuve pas cette mesure… Dites à Jourdan qu’il
peut se retirer où il voudra et qu’il continuera à jouir de son traitement
d’officier général jusqu’à ce que les circonstances me permettent de
l’employer… »
Mais Fouché, dont les sources de renseignements étaient des meilleures, savait et ne le cacha
pas à ses visiteurs, à qui le liaient de vieux souvenirs communs,
que l’auteur de la liste était Bonaparte en personne.
Celui-ci poussa même l’hypocrisie jusqu’à écrire à Jourdan une lettre
personnelle débordant de cordialité. Puis, le 1 er frimaire
(22 novembre), la radiation de Jourdan de la liste des proscrits parut au Moniteur , officialisant la situation. Deux mois plus tard, le
21 janvier 1800, il était nommé inspecteur général d’infanterie et
de cavalerie pour les garnisons de l’ouest. Ce n’était pas, à
proprement parler, un commandement, mais presque une voie de garage pour un vieux général aux
abords de la retraite, d’autant que les hostilités étaient loin d’être
terminées et qu’il aurait pu espérer qu’on lui confiât une armée. Mais
c’était mieux que rien d’autant que, dans les départements de
l’ouest, l’agitation royaliste prenant la forme d’une
insurrection avait repris en Normandie, sous la haute direction du comte de Frotté, débarqué
depuis le 1 er vendémiaire en provenance, de Grande-Bretagne. Un peu plus
tard, alors qu’il négociait sa reddition à l’abri d’un
sauf-conduit, Bonaparte le fit appréhender et fusiller au mépris du Droit. C’était
donc un peu plus qu’un simple travail de routine qui était confié à Jourdan et il
s’y consacra avec sa méticulosité habituelle.
VII
MIS À L’ÉCART
(1800-1806)
Dès qu’il fut à la tête de l’État, Bonaparte se hâta de transformer un
certain nombre de généraux en qui il voyait plus ou moins des rivaux potentiels en ambassadeurs
qu’il envoya aux quatre coins de l’Europe, autant pour les rabaisser que
pour les éloigner du siège du pouvoir central. C’est ainsi que Macdonald atterrit au
Danemark, Brune en Turquie, Lannes à Lisbonne et Andréossy à Londres, car la paix
d’Amiens venait d’être signée avec la Grande-Bretagne. Cette dernière
nomination fit l’objet d’un bon mot, quelque peu cruel, de la part de
Talleyrand qui commençait à trouver qu’il y avait un peu trop de traîneurs de sabres
dans la diplomatie. Ce ne furent pas les seuls et Jourdan se trouva, lui aussi, transformé en
plénipotentiaire. Il remplissait depuis un peu plus de six mois ses fonctions
d’inspecteur général et parcourait les garnisons de l’ouest, ce qui
pouvait être l’occasion, pensa Bonaparte, de nouer des amitiés en vue, qui
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