Le Maréchal Jourdan
tendances, lui-même, par nature plutôt modéré,
surtout depuis qu’il était au faîte des honneurs, choisit de ne pas choisir. Il
espérait avec une certaine naïveté que, quel que soit le vainqueur, ce dernier aurait besoin de
lui et ferait appel à son concours de manière active, ce en quoi il se trompait. Il ne
soupçonnait pas le côté extrêmement vindicatif et rancunier de Bonaparte qui allait se montrer
malveillant, voire haineux, vis-à-vis de tous ceux qui, d’une manière ou
d’une autre, avaient tenté de s’opposer à sa prise du pouvoir, quel que
pût être par ailleurs leur mérite.
Jourdan allait être un des premiers à faire connaissance avec la colère du premier consul.
Les représailles exercées à son encontre, tempérées il est vrai par la cratite, s’il
en faisait trop, de provoquer des réactions en chaîne, tant dans l’armée que dans la
fonction publique, durèrent pendant toute la dictature napoléonienne. Certes, un peu contratit
et forcé, Napoléon employa Jourdan, mais il le cantonna à des tâches plutôt secondaires et, le
plus souvent, ne lui fournira pas les moyens d’aboutir à des résultats voulus. Une
élévation à la dignité de maréchal d’Empire (Napoléon n’avait pas pu
faire autrement), là s’arrêteront les libéralités de l’empereur. À
d’autres iront titres, dotations et avantages de toutes sortes. Vis-à-vis de Jourdan
comme de Brune, il se montrera d’une extraordinaire avarice. De même que Napoléon en
voudra toujours à Moreau de sa victoire de Hohenlinden et à Masséna pour celle de Zurich, il ne
pardonnera jamais à Jourdan d’avoir été le vainqueur de Fleurus. Il le poursuivra de
sa rancune jusqu’à Satite-Hélène où il le maltraitera avec parti pris dans ses
propos, faisant preuve, une fois de plus, d’une parfaite mauvaise foi.
*
La vengeance de Bonaparte, pour qui l’attitude de Jourdan, dans la journée du 18
et surtout du 19 brumaire, fut une source constante d’inquiétude et de
cratite, ne se fit pas attendre. Alors qu’il avait été prévu, dans les discussions
précédant le coup d’État, que Sieyès serait le premier consul et Bonaparte le
second, celui-ci, par un tour de passe-passe, inversa l’ordre des préséances. Le
troisième consul, Roger Ducos, ne comptait pas. Lorsque, un peu moins de trois semaines plus
tard, Sieyès essaya de faire adopter le projet de modification de la constitution
qu’il avait compté mettre en place à la faveur du coup d’État, il se
heurta à un refus brutal de Bonaparte et, quinze jours plus tard, celui-ci en faisait accepter
un autre entièrement nouveau, infiniment plus restrictif quant aux libertés individuelles. Dans
la foulée, il se débarrassa de Sieyès à qui il offrit un château à titre de compensation, ce
qui donna lieu à un quatrain satirique. Il le remplaça par Cambacérès.
Au cours des jours suivant le coup d’État, Bonaparte avait laissé entrevoir ce que
serait le nouveau régime. Le 21 brumaire, le journal Le Moniteur publiait une
liste d’un certain nombre de députés du Conseil des Cinq-Cents qui en étaient exclus
pour la simple raison qu’ils avaient cru devoir prendre position d’une
manière tranchée contre le coup d’État. Dans le nombre, figurait en bonne place le
nom de Jourdan. Là ne s’arrêta pas le châtiment. Avant la fin du mois, parut une
nouvelle liste, celle des individus jugés « dangereux », qui allaient
être déportés en Guyane. Et, pour corser la chose, ceux-ci étaient priés de se rendre
volontairement et à leurs frais à Rochefort pour y être
embarqués ! Parmi eux, on trouvait encore le nom de Jourdan. Or, celui-ci estimait
n’avoir rien à se reprocher. Son comportement pendant les deux fameuses journées
avait été des plus passifs. En le portant sur la liste, Bonaparte assouvissait une rancune
personnelle et pensait que cette mesure n’entraînerait aucune réaction. Il commit
une grave erreur. Alors que le coup d’État avait reçu un accueil favorable dans
toute la France, l’annonce de la déportation de celui qui restait, aux yeux de tous,
le vainqueur de Fleurus, souleva une vague d’indignation. Dans
l’armée d’Allemagne, plusieurs généraux évoquèrent même sérieusement la
possibilité de marcher sur Paris. Moreau, qui avait accepté à contrecoeur de prêter la
main au
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