Le Maréchal Jourdan
de le recevoir. Le « prisonnier »
s’installa donc dans une auberge devant l’entrée du fort avec ses
gardiens et les régala pendant trois mois.
Le suivant sur la liste des maréchaux était Jourdan et, avec quelque inquiétude, Richelieu se
demandait ce qu’il allait bien pouvoir invoquer pour tenter, lui aussi, de
s’esquiver. Or Jourdan, fidèle à lui-même, peu soucieux de voir ses relations avec
le pouvoir s’aigrir davantage, accepta la mission. Ce fut, certes, sans
enthousiasme, encore que ses rapports avec Ney n’eussent jamais été excellents.
Mais, du moment où il avait donné son accord pour remplir cette fonction, il décida de le faire
avec sa conscience professionnelle habituelle.
Un bruit a couru selon lequel Louis XVIII aurait demandé au président du Conseil de désigner
Jourdan comme une manière de punition pour son comportement pendant les Cent-Jours ;
mais, suivant une autre source, il aurait été choisi simplement à l’ancienneté. Rien
ne permet de croire à l’une plutôt qu’à l’autre thèse. Outre
Jourdan, le conseil de guerre comprenait les maréchaux Augereau, Masséna et Mortier, et les
généraux de division Villate, Claparède et Gazan. D’entrée de jeu, Masséna essaya de
se récuser. Ses arguments étaient de valeur : pendant la campagne du Portugal, en
1810, Ney avait été sous ses ordres et leur discorde avait été telle que Masséna avait demandé
(en vain) son rappel. Mais ses camarades, excédés par toutes ces dérobades, ne voulurent pas le
suivre dans son raisonnement et Masséna continua à siéger.
L’affaire ayant été difficilement instruite, car les motifs de
l’accusation, et en particulier la haute trahison, ne reposaient sur aucune base
juridique solide, le conseil de guerre se réunit à nouveau, le 9 novembre 1815, au
palais de Justice de Paris. Jusqu’au dernier moment, le garde des Sceaux avait
hésité à renvoyer Ney devant ses camarades, de fortes pressions assurant que le titre de
maréchal n’était pas un grade mais une dignité et que Ney, qui en était membre et
qui y avait siégé, devait être traduit devant la Chambre des pairs. C’était,
assuraient les tenants de cette thèse, infliger une trop rude épreuve à ses anciens frères
d’armes. En réalité, mais sans oser le dire, ils craignaient que les dits frères ne
se montrent trop enclins à la clémence.
Dans l’entourage proprement dit de Ney, les potits de vue étaient
partagés : certains croyaient qu’il avait plus de chance de tirer son
épingle du jeu devant la juridiction militaire et d’autres qu’il fallait
davantage faire confiance à la civile. Le prévenu lui-même changeait assez facilement
d’opinion, penchant tantôt pour l’une, tantôt pour l’autre,
mais n’ayant curieusement qu’une confiance limitée dans
l’impartialité de ses camarades, surtout les maréchaux.
Jourdan, avant l’ouverture des débats, avait eu une entrevue avec le président du
Conseil des ministres, le duc de Richelieu. Celui-ci ne lui avait pas caché qu’un
acquittement de Ney serait très mal perçu, aussi bien par le roi et le gouvernement que par
l’opinion publique (celle des royalistes), et même les souverains étrangers, qui y
verraient une preuve de faiblesse et d’incapacité du pouvoir français.
Jourdan, tout en comprenant dans quelles difficultés se débattait le ministère,
s’était un peu cabré en entendant de tels propos, quel que pût être son désir de se
réconcilier avec la monarchie. Il avait fait remarquer à son titerlocuteur que, si le tribunal
n’était pas libre de ses décisions, ce n’était pas la peine
qu’il siégeât, ce que le duc avait reconnu. Puis, il avait réfléchi et conclu
qu’une condamnation pouvait s’assortir d’un certain nombre de
degrés entre la légèreté et la lourdeur. De la peine de mort à l’acquittement, les
variantes étaient nombreuses et on pourrait difficilement reprocher au conseil de guerre de
nuancer son jugement, surtout s’il s’appuyait sur des attendus solides,
car en allant au fond des choses, le véritable coupable du comportement de Ney pendant
« le vol de l’aigle » était Napoléon lui-même qui, avec ses
mensonges, l’avait fortement influencé.
Dès l’ouverture des débats, Jourdan frappa l’assistance par la
modération de son ton et la politesse avec
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