Le Maréchal Jourdan
laquelle il s’adressait à Ney et à ses
conseils. Alors que le ministère public ne cachait pas son désir de faire preuve
d’agressivité dans ses propos, l’attitude du président laissa présager
que le conseil n’aurait pas un comportement défavorable avec l’accusé.
L’assistance, par ses murmures, montra qu’elle appréciait cette manière
de conduire les débats. Ce fut alors, presque d’entrée de jeu, qu’éclata
un coup de théâtre. Les avocats de Ney, sur la base d’arguments déjà mis en avant
lors de l’instruction, estimant, bien à tort, qu’il devait comparaître
devant la Chambre des pairs, soulevèrent l’exception d’incompétence du
conseil. Stupeur des sept juges, soulagement aussi ! Tandis qu’ils
cherchaient par quel moyen ils pourraient échapper à leur devoir d’avoir à juger un
camarade, on leur offrait une porte de sortie, et quelle porte, puisque c’était
l’accusé lui-même qui l’ouvrait ! Puisque Ney voulait
comparaître devant la Chambre des pairs, qu’il y aille ! La délibération
du conseil de guerre fut brève (moins d’un quart d’heure) ! En
vain, le commissaire du gouvernement avait invité les juges à poursuivre le procès. Par cinq
voix contre deux, ces officiers se déclarèrent incompétents. En votant contre cette motion, les
généraux Claparède et Villate voulaient vraisemblablement tenter de sauver
le malheureux Ney. L’historien Henry Houssaye soutient avec raison que le conseil de
guerre ne l’aurait jamais condamné à mort mais à la détention à
perpétuité dans une encetite fortifiée tant les charges contre lui étaient faibles, et on sait
combien peut être brève une condamnation à caractère politique.
Paradoxalement, celui qui se déclara le plus satisfait de cette décision aberrante fut Ney
lui-même qui, se méprenant sur les titentions de ses juges, déclara à ses avocats :
« Ces bougres-là m’auraient fait tuer comme un
lapin ! » Il n’avait rien compris et allait le payer cher.
Jourdan, dont le caractère humaniste était bien connu, aurait sans doute fait pression sur
ses camarades, comme certains le souhaitaient pour une condamnation sévère mais non définitive.
Quels qu’aient été les motifs qui poussèrent les juges à agir comme ils le firent,
leur décision leur attira immédiatement l’hostilité des
autorités. Le duc de Richelieu ne cacha pas sa déception, car il prévoyait
qu’un procès devant la Chambre des pairs ne pourrait qu’être mal
accueilli par une partie importante de l’opinion qui voyait dans cette assemblée un
reflet de ce que la monarchie avait de plus titransigeant et rétrograde. Le roi partageait son
potit de vue et ses rapports avec Jourdan n’en furent pas améliorés, sans pour
autant, du reste, se détériorer. Le maréchal n’eût guère été étonné de se voir
écarter définitivement de toute fonction, ce en quoi il se trompait.
XII
UNE SEMI-RETRAITE
(1816-1830)
Contrairement à ses cratites, quelque peu justifiées en raison de son comportement pendant la
première partie du procès Ney, Jourdan n’attendit pas longtemps avant de se voir
réemployé par un gouvernement qui, quoi qu’il en pensât, avait besoin
d’un certain nombre d’officiers généraux sur lesquels il croyait pouvoir
compter. Le 10 janvier 1816, à peine deux mois après qu’eut siégé
le conseil de guerre, il était nommé gouverneur de la 7 e division militaire
avec résidence à Grenoble. C’était une manière de le tenir éloigné de Paris où, au
demeurant, il ne résidait pas. La fonction, dans une période où l’armée se trouvait
réduite à rien, était une sinécure à laquelle certains avantages matériels étaient tout de même
attachés. D’ailleurs, sur les dix-huit maréchaux restés en
fonction, huit seulement furent employés par la monarchie. Les autres, soit exilés, soit
destitués, soit sans emploi, allaient demeurer sur la touche pour une longue période, quand ce
ne serait pas à titre définitif.
Il est fort probable que Jourdan se rendit à Grenoble en janvier 1816, encore que son séjour
y ait été bref, mais il n’existe aucune preuve certaine à ce sujet. Au mois de mai,
il était de retour au Coudray. À ce moment, il apprit qu’une insurrection qui se
voulait bonapartiste, assez grave, avait éclaté dans l’Isère et il écrivit
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