Le maréchal Ney
que faisait peser cette troupe sur sa gauche, fit charger toute sa cavalerie lourde : trois régiments de cuirassiers, qui ramenèrent Colbert et les siens en bordure du plateau. Ceux-ci auraient été culbutés dans la plaine, si la charge prussienne n’était venue se briser contre les fantassins de Ney formés en carré.
Cependant, le prince de Hohenlohe ne savait trop que penser. Le duc de Brunswick, en le laissant sur le plateau, lui avait donné comme instructions de couvrir la retraite de l’armée par des mouvements retardateurs. Jusque-là, il n’avait cru avoir devant lui que des forces plus ou moins égales aux siennes.
De son côté, l’empereur était entré dans une violente colère en estimant que Ney s’était engagé deux heures trop tôt. Il croyait toujours avoir en face de lui toute l’armée ennemie. Aussi renvoya-t-il brutalement Jomini qui venait d’arriver à l’état-major : « Allez voir ce que fait votre maréchal ! » Et en même temps, alors que par éléments le sixième corps entrait en ligne, Lannes avança pour le soutenir. Dès ce moment, l’affaire était réglée. Avant même que Soult n’eût à son tour atteint le plateau, Hohenlohe battait en retraite. En vain chercha-t-il à s’accrocher au terrain et à reformer une ligne de défense entre les villages de Vinzehnheiligen et d’Isserstedt. Les régiments de Ney et de Soult les enlevèrent à la baïonnette. Le prince recula alors vers Weimar, c’est-à-dire, en fait, à l’opposé de la direction qu’il était censé couvrir. Pour faire route sur Berlin, il allait être obligé d’effectuer une grande boucle par le nord.
Napoléon avait donc réussi à se glisser entre l’adversaire et ses bases. Cette retraite de Hohenlohe s’effectuait en assez bon ordre, mais en arrivant vers la ville de Weimar, il tomba sur le corps principal en pleine débandade.
Le duc de Brunswick avait fait route la veille à l’est et à hauteur du village d’Auerstaedt s’était heurté à Davout : soixante-dix mille hommes contre à peine vingt mille. Mais celui-ci avait eu une double chance. D’abord, il avait les trois meilleurs généraux de division français sous ses ordres et ensuite, dès le début de l’action, le duc de Brunswick avait été tué. Le roi s’était vu dans l’obligation d’assurer le commandement de son armée, ce dont il était bien incapable. Dès lors, voyant l’immobilité de l’ennemi, Davout n’avait pas hésité à prendre l’offensive et à rejeter les Prussiens également vers Weimar. La rencontre des deux colonnes se produisit dans un désordre sans nom. Ce fut bientôt une fuite éperdue.
Les Français épuisés étaient venus coucher à Weimar. Dans l’auberge où il était installé, Ney, sur les conseils de Jomini, écrivit à l’empereur pour, sinon justifier, du moins expliquer son attaque. Autour de lui, on continuait à la juger prématurée, alors qu’à ses propres yeux elle était légitime. Habilement, il notait : « Je ne puis faire aucun rapport sur la bataille d’aujourd’hui. Votre Majesté, dans cette glorieuse journée, a tout fait et tout vu. »
De son côté, l’empereur n’était guère en position de réprimander le maréchal. Il ne dit rien, mais en garda une rancoeur qu’il ressortit quelque temps après.
Tandis que l’armée française soufflait pendant vingt-quatre heures, Ney, toujours soucieux de « relations publiques », envoya ses officiers saluer le poète allemand Wieland, qui résidait à Weimar et les reçut fort aimablement. Le geste fut apprécié.
Murat, de son côté, se lançait sur les traces de l’armée prussienne, entamant cette grande poursuite qui allait le conduire jusqu’aux rives de la Baltique. Pour le soutenir, Napoléon lui avait donné le corps d’armée de Ney, quoiqu’il sût combien les relations entre les deux maréchaux continuaient à être mauvaises. À présent grand-duc de Berg, Murat se considérait comme très au-dessus de ses camarades, ce que ceux-ci acceptaient difficilement, Ney plus, peut-être, que les autres.
Berthier, connaissant mieux que quiconque l’hostilité des deux hommes, préconisa de remplacer Ney par Lannes qui, quoique lui aussi de caractère difficile, s’entendait mieux avec Murat. L’empereur ne voulut rien entendre.
Le sixième corps s’ébranla donc vers Erfurt, toujours à l’ouest. Il avait de la peine à suivre la cavalerie qui avançait plus vite et à
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