Le maréchal Ney
moitié !
Alors Ney se pencha vers Jomini :
— Qu’on prenne surtout bien garde de leur faire jeter leurs armes. Ils sont le double de nous !
Et il expédia un courrier à Berthier pour lui demander ce qu’il devait faire de ses prisonniers, ainsi que des fameux bijoux qu’il venait de découvrir. Il avait compris que ce butin était trop gros pour qu’il pût songer à l’escamoter.
Lorsque la nouvelle parvint à Napoléon, qui se trouvait à Berlin, il commença par ne pas y croire. Il est vrai qu’il devait en apprendre d’autres aussi extraordinaires, puisque quinze jours plus tard, Lassalle s’empara de Stettin avec un seul régiment de cavalerie.
Ayant laissé une petite garnison à Magdebourg, Ney s’était remis en marche vers Berlin où il parvint avant la fin du mois. Comme ses camarades, il était las et espérait secrètement que, cette campagne brillamment terminée, l’armée allait revenir en France. Berthier, se faisant l’interprète des autres maréchaux, fit part à l’empereur de leur désir : « Vous seriez donc bien contents d’aller pisser dans la Seine », répliqua brutalement Napoléon. Car pour lui, la guerre n’était pas finie. Il s’agissait maintenant d’affronter les Russes sur leur propre terrain. La pensée de l’empereur était complexe. Il voulait battre Alexandre pour que celui-ci fût bien persuadé de sa supériorité et, dans le même temps, il tenait à le ménager, espérant s’en faire un allié. Il ignorait encore jusqu’où pouvait aller la duplicité du tsar.
Ney, sachant à quoi s’en tenir, fit quelques préparatifs personnels pour la nouvelle campagne. Désormais, il entendait faire la guerre en prenant ses aises et il se fit confectionner durant son bref séjour à Berlin un vaste manteau, mi-redingote, mi-houppelande couleur puce, doublé d’agneau noir, très chaud, dans lequel il serait parfaitement identifiable par ses soldats. Là aussi, on était loin de l’austérité républicaine.
Comme le sixième corps était celui qui avait le moins peiné dans la poursuite après Iéna, l’empereur le désigna pour constituer l’avant-garde, derrière un rideau de cavalerie tendu par Murat.
*
Des plaines sans fin, des forêts touffues et difficilement pénétrables, des cours d’eau larges, puissants et lents, tel était le terrain qui attendait les Français sitôt passé Berlin et l’Oder franchi. C’était la Pologne, une terre difficile et ingrate. De plus, en ce début d’hiver, la neige commençait à recouvrir le paysage hostile et peu densément habité. L’infini, la faim, les fauves qui n’hésitaient pas à attaquer les voyageurs, même en petits groupes, tout cela, sans compter les Russes, avait de quoi décourager les plus vaillants. Le sixième corps avait franchi la frontière polonaise dans la deuxième moitié de novembre. Ney ne cessait de réclamer des renforts, pour recompléter ses effectifs de plus en plus squelettiques. Berthier lui en promettait. L’empereur mettait la dernière main à un sénatus-consulte autorisant la levée de quatre-vingt mille conscrits, dont soixante mille dans l’immédiat. Le maréchal ne se faisait pas d’illusions : rassembler, équiper, instruire et faire venir ces nouveaux soldats prendrait des mois.
Le sixième corps, s’il ne rencontra pas d’ennemis que Murat refoulait, eut à résoudre d’autres problèmes. Le pays qu’il traversait semblait vide de tout ravitaillement. Les réquisitions ne donnaient rien ou très peu. Il fallait improviser, faire venir des convois de vivres d’Allemagne et les protéger contre de petits détachements prussiens ou russes. Bien décidé à nourrir ses hommes, Ney n’hésita pas à se saisir des subsistances qui étaient destinées aux divisions de ses camarades, ce qui ne fit qu’accroître sa réputation de mauvais coucheur. Il s’en moquait.
Depuis Berlin, il avait marché plein est jusqu’à la ville de Thorn, en bordure de la Vistule, qu’il atteignit le 26 novembre et qu’il enleva. Les Russes, cette fois, n’étaient pas loin, mais Bennigsen, quoiqu’il eût cinquante-cinq mille hommes à opposer aux trente-deux mille de Murat, Davout et Ney, jugea tout de même plus prudent de reculer dans l’attente de renforts qu’il n’allait pas tarder à recevoir. Il n’hésita pas à évacuer Varsovie, toujours dans le dessein d’éviter un combat à tout prix. Une partie des forces françaises, obliquant au sud-est,
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