Le maréchal Ney
cachèrent pas leur manière de penser. Napoléon se le tint pour dit. Plus tard, à Sainte-Hélène, il devait accuser ceux-ci des plus noirs desseins, mais pour l’heure il comprit qu’il devait ménager les artisans de ses victoires.
L’incident n’eut pas de lendemain. Chacun garda pour soi ses rancoeurs.
Au cours de la simili-poursuite exécutée par le sixième corps, celui-ci rafla ici et là des traînards russes. À la grande surprise des Français, ces prisonniers supplièrent qu’on ne les tuât pas pour les mettre à la marmite ! La propagande fonctionnait bien et de bonne foi les soldats du tsar, intoxiqués par leurs officiers, croyaient les Français anthropophages.
Bientôt, un ordre de Napoléon arrêta son mouvement et Ney fut prié avec son corps demeuré intact de couvrir le repli de l’armée vers ses bases de départ. Arrivé à Gutstadt, Ney s’installa pour passer le reste de l’hiver et fit dresser des fortifications.
Il était quelque peu en pointe par rapport au reste de l’armée et situé assez près des lignes russes. Aussi restait-il constamment sur ses gardes. Sa principale préoccupation demeurait le ravitaillement. Il n’y avait plus de vivres à plusieurs lieues à la ronde et Ney devait envoyer loin des colonnes chargées de se procurer de quoi subsister. Dans chaque village, ses hommes disputaient à des fourrageurs russes le peu de bétail qui s’y trouvait. Certains grenadiers s’étaient fait une spécialité de sonder le sol avec la baguette de leur fusil pour y dénicher des silos camouflés. Les paysans y avaient dissimulé des pommes de terre ou des betteraves. Du reste, les adversaires étaient soumis au même régime Spartiate , mais les Français élevés à moins rude école avaient quelque peine à le supporter. Encore les vieux soldats acceptaient-ils la situation avec une certaine philosophie. Mais les renforts qui commençaient à arriver se composaient de recrues qui souffraient terriblement. Un certain nombre de ces conscrits, d’origine italienne, ne purent supporter la faim, le climat, la vermine et la saleté. Ils se mirent à déserter. Renseignés sur leur état d’esprit, les Russes les y incitèrent. Ney dut menacer de faire fusiller sans jugement ceux qui seraient repris.
Comme si ces épreuves ne suffisaient pas, une épidémie, probablement de typhus, éclata à Gutstadt. Par chance, si l’on peut dire, elle frappa davantage les civils que les militaires. Avisé du danger par le prieur de l’abbaye où il logeait, Ney prit les quelques mesures prophylactiques qui s’imposaient.
Ainsi passa l’hiver, dans de très pénibles conditions. En quelque sorte d’un commun accord, les adversaires avaient suspendu les opérations militaires. Dans ses rapports à l’empereur, Ney ne fardait pas la vérité. Il écrivait : « Les officiers ne se sont pas déshabillés depuis deux mois, quelques-uns depuis quatre... au milieu de la neige, de la boue, sans vin, sans eau-de-vie, sans pain... faisant de longues marches sans aucune espèce de douceurs. »
A dire vrai, les colporteurs et vivandiers qui suivaient l’armée étaient assez bien fournis de ces « douceurs ». Mais il fallait les acheter et depuis longtemps les soldats et même les officiers n’avaient plus d’argent. Quant à les enlever de force, comme la présence de ces gens était indispensable, les ordres les plus stricts les protégeaient.
Napoléon finit par s’émouvoir de ces missives et ordonna de rassembler à l’arrière ce dont les divisions manquaient. Les carences des services de l’intendance rendirent difficile l’exécution de ces instructions.
*
Ce ne fut qu’au mois de juin 1807 que les choses recommencèrent à bouger. Naturellement, Napoléon comptait profiter des beaux jours pour reprendre l’offensive, mais, une fois de plus, Bennigsen le devança. Il n’attaqua pas brutalement, mais, ignorant l’importance des forces positionnées devant lui, lança des coups de sonde. Il croyait avoir des masses importantes alors qu’il n’était en face que d’un sixième du corps : cinquante mille hommes contre quinze mille ! Une de ses premières poussées de nuit fut rejetée, mais donna lieu à un épisode très « guerre en dentelles », comme Ney les affectionnait. Les Russes avaient laissé un certain nombre de blessés sur le terrain. Le maréchal, qui s’était déplacé en personne pour juger des dégâts, envoya aussitôt un
Weitere Kostenlose Bücher