Le maréchal Ney
remonta la vallée de la Vistule et le 28 novembre Murat faisait une entrée aussi triomphale que tapageuse dans la capitale de la Pologne.
Mais Ney, fidèle aux ordres de garder le flanc gauche, avait traversé le fleuve puis, marchant toujours à l’est, était venu cantonner autour de la ville de Mlava, à environ cent kilomètres au nord de Varsovie. Le temps continuait à être épouvantable : froid, neige et boue. Tous les maréchaux avaient pris leurs dispositions pour que leurs troupes s’établissent dans leurs quartiers d’hiver, comptant sur la suspension des opérations jusqu’au printemps.
C’est justement sur cette erreur des Français que comptait Bennigsen. Il voulait reprendre l’offensive en plein hiver, dans un climat auquel les Russes étaient habitués et au moment où l’état-major français ne s’y attendrait pas. Le manque de ressources, le petit nombre de localités où chercher refuge avaient contraint Napoléon à déployer largement son armée. Ney, obligé de distendre encore davantage ses cantonnements, décida de faire mouvement en direction d’Elbing sur la Baltique, de manière à pouvoir se ravitailler par mer. Il en avisa le grand quartier général puis se mit en route sans attendre l’accord de l’empereur. En agissant ainsi, il créait un trou de vingt-cinq lieues dans le dispositif impérial. Soult, dont la gauche se trouvait dès lors « en l’air », se fit un malin plaisir d’en avertir l’empereur avant que Jomini ne fût arrivé au quartier général porteur des explications de son chef.
Naturellement, Napoléon entra dans une violente colère en lisant le rapport de Ney. Il s’en prit à Jomini : « Qu’est-ce que votre maréchal Ney ? Savez-vous le tour qu’il me joue ? Il décampe de Mlava avec tout son corps d’armée. On ne sait ce qu’il est devenu ! Est-ce ainsi qu’il comprend la guerre ? Partez et tâchez de le retrouver. »
Il vitupéra longtemps avant de renvoyer le Suisse. Berthier, de son côté, lui confia des lettres dont le style n’était pas des plus aimable car il était également inquiet. « L’empereur n’a besoin ni de conseils ni de plans de campagne, écrivait-il. Personne ne connaît ses pensées et notre devoir est d’obéir. »
On comprend que, lorsqu’il eut été rejoint par Jomini, Ney laissa éclater son indignation et son ressentiment pour la manière dont on le traitait : « Quoi, ce n’est pas assez de me faire de vive voix ces beaux compliments. Il fallait encore mettre les scribes de Berthier dans la confidence ! »
En réalité Ney, peut-être involontairement, venait de rendre un immense service à l’armée française. Dans sa marche vers le nord, il vint donner en plein dans l’armée russe de Bennigsen, qui faisait mouvement pour attaquer par surprise le corps de Bernadotte. Le général russe fut aussi étonné que le Français.
Ney comprit immédiatement qu’avec ses seules forces il ne pouvait affronter toute l’armée ennemie, dont la manoeuvre nous prenait totalement par surprise. Il battit donc en retraite avec habileté, ne laissant derrière lui ni un homme ni un canon. Bennigsen, qui d’ailleurs ignorait l’importance des forces qui s’étaient heurtées aux siennes, tenta en vain de les anéantir.
Dans le même temps, Ney alertait le quartier général de sa découverte, dont Napoléon comprit la gravité. Sa colère contre le maréchal tomba d’un coup et il se contenta de dire : « Si Ney peut se maintenir, tout est pour le mieux. »
Puis il donna des ordres pour concentrer l’armée, puisque les Russes voulaient lui imposer une campagne d’hiver. Les premiers contacts entre forces de cavalerie eurent lieu dans les premiers jours de février. Les Russes se montrèrent tenaces, à leur habitude. Bennigsen autant que Napoléon espérait un affrontement rapide, d’autant que les escarmouches lui coûtaient du monde, sans grands résultats.
Par un coup de chance, sa cavalerie enleva un officier estafette de Berthier. À la lecture des dépêches dont il était porteur, Bennigsen comprit que Napoléon n’avait pas toutes ses forces sous la main, alors qu’en dehors du corps prussien de Lestoc, en principe trop au nord pour intervenir, lui disposait de toutes les siennes.
En fait, trois des corps d’armée français étaient encore éloignés : ceux de Bernadotte, Davout et Ney. Napoléon n’avait donc que cinquante-cinq mille hommes, face à soixante-dix
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