Le maréchal Ney
avait raflé les deux corps qu’il poursuivait. Le 14 juin au soir, l’armée russe n’existait plus. Ses débris reculaient vers le Niémen. Le même soir, épuisé et heureux, Ney coucha dans un abri de fortune dressé à la hâte par le génie. Les troupes françaises demeurèrent deux jours sur place pour relever les blessés, enterrer les morts et réparer les ponts.
Ce fut Ney qui, dans le bulletin daté du 17 juin, fut cité comme le principal artisan de la victoire : « Le maréchal Ney, avec un sang-froid et une intrépidité qui lui est particulière, était en avant de ses échelons, dirigeait lui-même les plus petits détails et donnait l’exemple à son corps d’armée qui toujours s’est fait distinguer même parmi les corps de la grande armée. »
Le même jour, l’armée se lança à la poursuite des Russes, mais ne trouva devant elle que de rares sotnias (escadrons) de cosaques qui refusaient le contact.
À ce moment, l’état-major russe était divisé. Une partie préconisait de poursuivre la lutte en attirant Napoléon et son armée au fond de la Russie. Ils citaient en exemple la campagne du tsar Pierre le Grand contre le roi de Suède Charles XII. Une autre soutenait qu’il fallait cesser momentanément le combat. Ce fut à ces derniers que le tsar Alexandre donna raison, quelle que fut sa répugnance à traiter. Mais son armée était détruite. Sa reconstitution demanderait de longs mois et il n’avait plus de forces disponibles. Aussi, dès le 18 juin, sollicita-t-il un armistice. Un argument supplémentaire le poussait à cette démarche : les ennemis atteignaient les bords du Niémen. Au-delà, commençait vraiment la terre russe, et Alexandre ne se souciait pas d’y voir porter la guerre. Napoléon, de son côté, montrait quelque irrésolution à l’idée de franchir cette frontière et de s’enfoncer dans l’immensité. Les maréchaux ne montraient aucun enthousiasme, disant à qui voulait les entendre que l’armée n’était pas prête pour une telle aventure. Aussi la demande du tsar fut-elle acceptée avec empressement.
Le maréchal Ney ne joua aucun rôle dans la négociation qui se traduisit le mois suivant par le traité de Tilsit. Il se contenta de parader aux côtés de ses camarades, de fraterniser sur commande avec ses homologues russes et de bien traiter ceux-ci à sa table, car, avec la paix, l’abondance était revenue en un clin d’oeil. Il fut présenté au tsar, ce qui était normal, et ce souverain daigna se souvenir du rôle chevaleresque qui avait été le sien devant Gutstadt.
Les troupes françaises allaient faire demi-tour et regagner leurs cantonnements qui en Allemagne, qui en France ou ailleurs. Comme la plupart de ses camarades, Ney croyait et souhaitait que cette guerre serait la dernière pour de nombreuses années. La démobilisation d’une bonne partie de l’armée leur semblait certaine et ils aspiraient de toutes leurs forces à jouir enfin d’un repos mérité. Aucun ne comprenait qu’il était difficile de rendre à la vie civile des hommes qui ne connaissaient d’autre métier que celui des armes et répugnaient à apprendre une nouvelle profession, parfois pénible.
Napoléon ne se montra pas avare avec ses généraux : avancements et gratifications plurent. Les vaincus pouvaient payer. Ney, pour sa part, reçut une rente annuelle de vingt-six mille francs à prélever sur le duché de Varsovie, suivie peu après d’une gratification de six cent mille francs, moitié en espèces et moitié en rentes. Si l’on y ajoutait les contributions qu’il avait levées pendant la campagne et sa solde qu’il lui restait à percevoir, il pouvait considérer que la guerre n’était pas une mauvaise affaire.
Depuis le 19 juillet, Napoléon avait repris le chemin de la France. Ney le suivit dans le courant du mois d’août, impatient de revoir les siens qu’il avait quittés depuis pratiquement un an. Il allait tout de même pouvoir, pendant quelques mois, jouir de la vie de famille.
C HAPITRE VI
INTERMÈDE IMPÉRIAL
(1807-1808)
Si la personnalité de Michel Ney s’était affermie pendant son année d’absence, celle d’Eglé, sa femme, s’était également forgée. Amie intime de la reine Hortense, protégée de l’impératrice Joséphine, brillant par sa beauté et sa connaissance du monde d’un éclat particulier à la cour, elle virevoltait avec aisance dans l’entourage du couple impérial. C’est sans doute
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