Le maréchal Ney
maréchal Victor. Dans ce même esprit de collaboration, les magasins du sixième corps deviendraient communs aux deux. Ainsi la Galice verrait ses troupes d’occupation doublées, ce qui était une bonne chose, mais sous un commandement bilatéral, ce qui l’était moins.
Acceptée de mauvaise grâce par chacun des signataires, la convention de Lugo ne fut pas vraiment exécutée. Soult ne songeait qu’à évacuer la Galice après s’être approvisionné dans les magasins de Ney, pour se rapprocher de Madrid. Ney, après avoir essuyé un échec devant Vigo, accusa Soult de ne pas l’avoir soutenu. À lui seul, il ne pouvait tenir les deux provinces. À son tour, il se replia vers Astorga le 30 juin, sur la route de La Corogne à Madrid, et y concentra son corps d’armée afin de le rendre de nouveau opérationnel. Il serait fastidieux de détailler les lettres que Soult et Ney échangèrent à ce moment, dans lesquelles ils s’accablaient réciproquement de reproches. Mais ce fut l’époque que choisit Ney pour se séparer de Jomini en l’envoyant à Vienne porter ses doléances à l’empereur et mettre sous ses yeux la fameuse convention de Lugo. Lorsque Napoléon finit par en apprendre l’existence, il se demanda à haute voix si ses deux maréchaux n’étaient pas devenus fous.
Tout au long de la route, Jomini eut le temps de réfléchir. Il comprit que venir gémir sur les rapports entre Soult et Ney auprès de Napoléon, alors que celui-ci venait de connaître un semi-échec à Essling, risquait de le faire mal recevoir. On ne l’écouterait pas et peut-être la colère légitime de l’empereur se tournerait-elle contre lui. Aussi, arrivé à Schoenbrun, n’évoqua-t-il qu’en passant la querelle des maréchaux en l’attribuant surtout aux difficultés de communiquer. Il s’étendit davantage sur la menace que l’armée anglaise faisait planer sur la capitale si, profitant de ce que la vallée du Tage n’était pas couverte, elle la suivait pour remonter vers Madrid. Napoléon l’écouta à peine. La chose lui semblait impossible. Il se gaussa de Jomini, pour qui il avait pourtant une grande estime, en lui jetant : « Voilà bien comme vous êtes, messieurs les stratèges. Vous vous imaginez que votre ennemi va précisément faire la manoeuvre que vous calculez comme la plus habile. Si on raisonnait ainsi à la guerre, on n’y dormirait pas une nuit tranquille. »
Puis il le congédia tout en le gardant à Vienne. Or quelques jours plus tard, il le fit appeler de toute urgence et l’accueillit on ne peut plus aimablement en disant : « Wellesley est sorti du Portugal. Vous aviez raison ! »
Jomini s’attendait à être renvoyé sur-le-champ en Espagne, mais Napoléon le conserva à ses côtés jusqu’à la fin de l’année, ce qui n’était pas pour déplaire au Suisse qui en avait assez de cette guerre hors des règles et espérait finir par gagner ses étoiles de général.
*
Cependant l’armée anglo-hispano-portugaise progressait rapidement vers Madrid en remontant la vallée du Tage, ce qui lui procurait un ravitaillement facile en eau.
Revenu quelques jours à Paris, Napoléon, conscient du danger, écrivit le 1 er juin à Soult pour lui donner le commandement d’une armée positionnée dans le nord de l’Espagne, qui comprendrait, outre son corps, ceux de Ney et de Mortier. Ainsi à la tête d’une masse de soixante mille hommes, il pourrait se porter sur les arrières ou le flanc des Anglais et les détruire. Or, tandis que Soult concentrait ses trois corps autour de Salamanque, Joseph, qui décidément n’entendait rien à l’art de la guerre, forçait Victor à marcher à l’ennemi sans attendre le renfort du corps de Sébastiani. Cette ineptie réduisait à néant la superbe manoeuvre stratégique élaborée par Soult et Jourdan qui voulaient attirer Wellesley jusque sous les murs de Madrid pour l’y anéantir. Il semble que l’Anglais ne perça pas à jour le plan français. Mais, en réalité, le piège fonctionna trop tôt parce que le roi ne voyait pas plus loin que son désir de ne pas voir abîmer « sa » capitale.
La rencontre eut lieu le 28 juillet par une chaleur écrasante, à Talavera de la Reina. La bataille fut indécise, mais Victor finit par abandonner le terrain et se replia pour couvrir Madrid en faisant sa jonction avec Sébastiani.
Les généraux espagnols voulaient se lancer à sa poursuite et se voyaient déjà défilant sur
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