Le maréchal Ney
représenterait. Pour prendre entre deux mâchoires l’armée ennemie, il fallait que Junot, qui était à la droite de Ney, franchît rapidement les marais du Dniepr et attaquât les adversaires à revers.
Sentant le danger, les Russes avaient constitué un très gros corps d’arrière-garde de trente mille hommes, commandé par Toutchzov. Celui-ci devait faire bouchon pour permettre l’écoulement du reste de l’armée. Il devait contenir Ney un certain temps, mais cette précaution aurait été vaine si Junot avait agi à temps.
Soutenu par Murat qui oubliait leurs différends, Ney multiplia les tentatives pour faire sauter le verrou. Junot n’apparaissant toujours pas, Murat, impatienté, abandonna le champ de bataille et se précipita chez lui. C’est alors qu’il lui aurait jeté à la face : « Achève ta gloire et là est ton bâton de maréchal ! », mot historique, sans doute forgé après coup.
Junot, peu convaincu, détacha tardivement la division Gudin qui par son action permit d’enfoncer le corps de Toutchzov. Elle y perdit la moitié de ses effectifs ainsi que son général, qui eut les jambes broyées par un boulet. Ce sacrifice des Russes n’avait pas été vain : le gros de leur armée s’était enfui.
Le lendemain, l’empereur fit une scène mémorable, en public, à Junot pour qui il avait pourtant toutes les faiblesses. Mais il ne le releva pas de son commandement, comme beaucoup s’y attendaient. C’est qu’il le connaissait depuis le siège de Toulon. Ensuite tous ses éloges allèrent à Ney à qui il déclara : « Ce combat est le plus beau fait d’armes de notre histoire militaire. » Mais il savait bien que rien n’était gagné et qu’il fallait reprendre la poursuite.
Le corps de Ney avait subi de telles pertes qu’il fallut, malgré les objurgations du maréchal, le relever de sa position d’avant-garde et le remplacer par celui de Davout.
Septembre arrivant, l’été finissait. Les premiers signes de l’automne : jours plus courts, brouillards matinaux, températures plus fraîches, commençaient à s’accumuler. Ce fut alors que les maréchaux conduits par Berthier tentèrent une nouvelle démarche auprès de Napoléon pour le persuader de s’arrêter. Ils exprimèrent leurs doutes sur la manière dont l’armée, fatiguée et diminuée, serait en état de supporter une campagne d’hiver. Ils parlaient d’expérience. Presque tous avaient été à Eylau et cette fois Davout ne les contredit pas. Mais Napoléon, à présent déterminé à pousser jusqu’à Moscou, non seulement ne se laissa pas convaincre, mais adressa de vifs reproches à ses interlocuteurs. A l’en croire, les trop importantes pertes en hommes auraient été dues à leur incapacité et « au défaut d’ordre qui existe dans la manière d’aller aux subsistances ». Tous furent choqués de ces mots. Si cette fois encore, ils se soumirent à Napoléon, ils lui en gardèrent rancune.
La pluie qui ne cessait de tomber depuis plusieurs jours semblait devoir interrompre les opérations. L’empereur convint que si elle continuait encore vingt-quatre heures, il donnerait l’ordre de revenir à Smolensk. Mais le lendemain le temps se remit au beau et la marche reprit.
Le 5 septembre au soir, ils constatèrent que l’armée russe semblait enfin s’être arrêtée. Déployée en bataille, elle s’étalait sur un terrain assez mouvementé de bois, de collines et de ravins où se dressaient de rares villages en arrière de la rivière Kolocza, petit affluent de la Moskowa, et du bourg de Borodino, sur le plateau de Gorki. Les Russes travaillaient en toute hâte à bâtir des fortifications de campagne et en particulier une série de redoutes, comme s’ils avaient choisi ce site pour livrer bataille. Ces derniers retranchements furent dénommés Grande Redoute, Trois Flèches ou Redoutes de Bagration et, plus en avant, Chevarino, du nom de la localité qu’elle jouxtait.
En réalité, même s’il se préparait au combat, Koutousov se serait fort bien satisfait de poursuivre sa retraite, mais la pression de plus en plus forte de tout le peuple russe l’avait contraint à se résigner à un affrontement dont il n’attendait rien de positif. Il se savait hors d’état de vaincre l’armée française et espérait seulement l’user un peu plus au prix de moindres pertes. Il était donc résolu à livrer une bataille défensive. C’est pourquoi il fit édifier ces
Weitere Kostenlose Bücher