Le maréchal Ney
intervention au bon moment aurait pu transformer la défaite russe en déroute.
Ce fut un Ney morose qui reprit la route le 9 septembre. Il avait la sensation, partagée par beaucoup, que l’armée s’enfonçait dans une aventure sans issue. A Forminskoïe, on trouva de nouveau un corps de Russes déployé et l’idée de devoir livrer un nouveau combat se traduisit par un sentiment de malaise. En fait, Koutousov avait simplement voulu retarder l’avance française pour évacuer ses blessés vers les hôpitaux de Moscou. La bataille de la Moskowa était un succès français qui ouvrait la route de la vieille capitale russe. Mais si l’adversaire était battu et presque saigné à blanc, il n’était pas détruit comme à l’issue de la guerre précédente. Dans les semaines à venir, autour du noyau qui lui restait, Koutousov allait pouvoir se renforcer et rétablir l’équilibre des forces en présence.
*
Lorsque les avant-gardes de Napoléon atteignirent Moscou, le 14 septembre, l’armée russe achevait d’évacuer la ville. Les vainqueurs en prirent possession. On ne sait pas exactement où Ney s’installa, mais il prit ses aises comme les autres chefs de corps. La question se posait : maintenant, que faire ? Napoléon était persuadé qu’Alexandre était contraint de solliciter la paix. Or les jours passaient et rien ne venait. Napoléon alla jusqu’à envoyer Lauriston porter une lettre au tsar pour lui proposer d’arrêter les hostilités. Quel aveu d’impuissance et de désarroi ! Cependant, un incendie éclata à Moscou, non pas dû à une action volontaire et concertée, mais au hasard. Ce genre d’accident était fréquent dans cette ville construite surtout en bois. Toutefois, lorsque le gouverneur Rostopchine avait emmené avec lui toutes les pompes à incendie en évacuant la ville, il avait agi en connaissance de cause. Le feu eut moins d’ampleur qu’on ne l’a écrit, mais força tout de même un certain nombre d’occupants, dont Ney, à déménager.
Les jours passaient. Napoléon, occupé à des futilités, ne parvenait pas à prendre une décision. Le problème se posait de savoir s’il fallait hiverner à Moscou ou battre en retraite, en affrontant en rase campagne les rigueurs de l’hiver russe. Il était très possible de demeurer sur place en transformant la ville en un vaste camp retranché qui s’appuierait à la fois sur le Kremlin et la Moskowa. La main-d’oeuvre ne manquait pas. Les immenses magasins, pleins et intacts, permettraient de nourrir convenablement les troupes. Koutousov, qui avait perdu le gros de son artillerie lourde à la Moskowa, pourrait difficilement enlever la forteresse.
Mais Napoléon serait alors contraint de résider de longs mois à neuf cents lieues de sa capitale, sans pouvoir gouverner son empire. En même temps, il acceptait mal l’idée de retraite, jugeant, non sans raison, « que ce pourrait être le commencement de sa chute ». C’est pourquoi le 13 octobre il convoqua les principaux chefs de l’armée pour leur demander leur avis.
Seul Daru, intendant général, qui avait sans doute une vue plus claire des problèmes posés par le ravitaillement, se déclara favorable à un hivernage sur place. Il en reconnut les inconvénients et suggéra à l’empereur qu’il rentrât en France et revînt le printemps suivant à la tête de renforts. Sa proposition ne rencontra nul écho. Ney, au contraire, affirma d’un ton véhément qu’une retraite rapide et dans les plus brefs délais était la seule solution envisageable. Il rappelait que depuis que l’armée séjournait à Moscou les désertions s’étaient multipliées et que le nombre des malades restait élevé. Sans doute une alimentation trop abondante après des semaines de vaches maigres en était-elle la cause.
Tous les généraux présents soutinrent sa proposition. Restait le choix de la route à prendre. Il fut décidé de suivre celle de Kalouga, passant par le sud, où le ravitaillement serait moins difficile à assurer, car les troupes n’y étaient pas passées. Dès lors, et fort de l’expérience de la marche sur Moscou, Ney veilla à ce que les havresacs de ses soldats fussent garnis de vivres, pour demeurer autonomes le plus longtemps possible. Il eut beaucoup de mal à faire respecter ses instructions. Inconscients des difficultés qui les attendaient, les hommes cherchaient à conserver avec eux le fruit de leurs pillages et ne voyaient aucune
Weitere Kostenlose Bücher