Le maréchal Ney
adversaires. Ceux-ci étaient à présent en pleine retraite. Ils jugeaient leur situation aussi compromise qu’en 1806-1807. Alexandre se demandait par moments si la sagesse n’eût pas été de suivre les avis de Koutousov et de laisser les autres pays d’Europe traiter comme ils l’entendraient avec les Français. Et puis l’Autriche, par ses hésitations qui ressemblaient fort à une reculade, les décevait.
Si les alliés acceptèrent de livrer bataille sur la Spree, aux alentours de la petite ville de Bautzen, ce fut parce que Napoléon les y contraignit en commençant à les déborder par le nord. Ney et son armée arrivèrent tôt le matin du 21 mai sur le terrain, en avance sur l’horaire planifié par Berthier. Le maréchal déploya ses unités, bien décidé à suivre ses instructions au pied de la lettre. Il avait en mémoire les remontrances de son maître à Ulm, Iéna et en d’autres circonstances où il était parti trop tôt. Mais ce jour-là, les conditions n’étaient plus les mêmes. Devant lui, les corps de Blûcher et de Barclay de Tolly manoeuvrèrent maladroitement en lui présentant leur flanc. Ce fut en vain que Jomini lui conseilla de les attaquer sur-le-champ avec de bonnes chances de les culbuter. Ney se buta : « Passe encore de modifier un ordre de l’empereur quand on est loin de lui, mais sur son champ de bataille ce serait impardonnable », jeta-t-il au Suisse comme argument. Mais Jomini ne se laissa pas convaincre. Au contraire, il insista de plus belle en disant que si Napoléon avait prévu l’attaque pour midi, c’était parce qu’il avait estimé que la seconde armée n’arriverait pas avant sur le terrain. Or il fallait profiter de cette avance. Napoléon, à ce moment précis, se demandait ce que Ney, qu’il savait sur place, attendait pour déboucher, mais il ne songea pas à lui envoyer d’estafette pour hâter son mouvement.
De mauvaise grâce, et parce qu’au fond de lui-même il gardait une certaine admiration pour la science de Jomini, Ney consentit à faire avancer une division, mais sans faire appuyer suffisamment son attaque. Elle fut ramenée par des forces ennemies très supérieures, ce qui mit le maréchal en fureur. Il n’allait pas, pour obéir sans réfléchir, laisser écraser ses régiments ! La querelle entre lui et Jomini reprit de plus belle, en plein milieu du combat.
Ney, en effet, prenait ses dispositions pour aborder les Russes de front. Jomini bondit : « Il ne s’agit pas de se jeter sur Blûcher de front, cria-t-il, mais de l’encercler. » Autrement dit, il prétendait déborder l’adversaire sur sa droite. Du coup, le duc d’Elchingen se fâcha et rétorqua : « Je n’entends rien à votre sacrée stratégie. Je ne sais qu’une chose, je marche au canon ! » Stupéfaits, les officiers de l’état-major crurent qu’ils allaient en venir aux mains !
Cependant Napoléon, qui découvrait que les faits sur sa gauche ne se déroulaient pas comme il le désirait, dépêcha Drouot avec quatre-vingts pièces d’artillerie pour appuyer Ney. Le spectacle de ces canons, de ces caissons et des artilleurs à cheval, galopant à travers champs pour aller mettre en batterie, fut magnifique. Sous cette nouvelle avalanche de feu, la droite alliée plia et dut reculer, entraînant avec elle le reste de l’armée. Mais une fois encore, l’anéantissement était manqué, même si la bataille était gagnée.
Bien des années plus tard, lorsqu’il rédigea ses souvenirs, Jomini évoquant la bataille de Bautzen se montra sévère envers Ney. Il alla jusqu’à écrire : « J’ai remarqué à Bautzen seulement que ses plus grands mérites, la valeur héroïque, son coup d’oeil rapide, son énergie, diminuaient à mesure que l’étendue de son commandement rendait sa responsabilité plus grande. »
Il est exact qu’au cours de la bataille qui venait de se livrer, Ney commanda mal. S’il savait à merveille mener un corps d’armée, le maniement de plus grandes unités sur la carte et non pas directement à la voix présentait un caractère abstrait qu’il ne savait pas dominer. Il se révéla peu capable de coordonner les mouvements de tant de divisions. Pourtant Napoléon, si prompt à relever les fautes de ses subordonnés, ne lui en voulut pas et ne critiqua pas sa manière d’agir. On verra même qu’il lui en tint si peu rigueur qu’il n’hésita pas à lui confier des forces de plus en plus
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