Le maréchal Ney
alliés refusaient de traiter avec Napoléon. La nouvelle était grave. Il était évident que la France devait avoir un gouvernement pour négocier. Toute la journée, les membres du haut état-major se perdirent en considérations plus ou moins oiseuses. Le soir, alors qu’il prenait congé d’un de ses aides de camp, Ney lâcha pour la première fois : « On le fera abdiquer. »
Napoléon se doutait de ce qui se tramait derrière son dos. Aussi passa-t-il en revue le lendemain, en fin de matinée, les troupes qui cantonnaient à Fontainebleau, principalement des unités de la garde. Se mêlant ensuite aux soldats, il les harangua, leur annonçant que sous peu il allait marcher sur Paris pour y livrer bataille. Alors les « Vive l’empereur ! À Paris ! » jaillirent de partout. Seuls au pied du grand escalier du château, les maréchaux et généraux demeuraient silencieux.
Après la parade, il fit appeler Ney qui, en tête-à-tête, protesta de son dévouement, et Napoléon ne poussa pas plus loin la conversation. Il annonça simplement que le quartier général allait être transporté à Ponthiéry, pour se rapprocher de la capitale. Mais à peine était-il sorti du bureau de l’empereur que Ney se vit entouré par ses camarades : Moncey, Oudinot, Macdonald, Berthier et même Lefebvre qui, quelques jours plus tôt, menaçait de les dénoncer. Ils le supplièrent de se faire leur porte-parole et d’aller sommer l’empereur de renoncer à une lutte désormais sans but.
Une fois de plus, se laissant influencer par ses interlocuteurs qui ne faisaient qu’exprimer ses propres désirs, Ney changea d’avis et, prenant la tête du groupe, força la porte du bureau de Napoléon. La discussion devint tout de suite orageuse, lorsque Ney et Lefebvre lui lancèrent : « Votre situation est celle d’un malade désespéré. Il faut faire votre testament, abdiquer pour le roi de Rome ! »
En vain l’empereur » entreprit de les convaincre de leur erreur. Ils ne voulurent rien entendre. À bout d’arguments, il leur jeta : « L’armée m’obéira ! » Ils ripostèrent : « L’armée obéit à ses chefs. » C’était la révolte, après quinze ans de soumission. Ils rappelaient à Bonaparte qu’il n’était comme eux qu’un produit de la Révolution et que sa suprématie touchait à sa fin.
Sentant qu’il ne fallait pas pousser trop loin, Ney s’adoucit pour dire : « Ne craignez rien. Nous ne venons pas vous faire une scène de Pétersbourg », soulignant par ces paroles qu’ils étaient tout de même plus civilisés que les assassins du tsar Paul I er {4} . Alors Napoléon tint à leur faire préciser leur pensée qu’il avait déjà devinée :
— Que voulez-vous, Messieurs ?
— L’abdication !
Il ne répondit pas et les laissa donner suite à leurs propos.
Les heures qui suivirent furent consacrées à la rédaction du document. Une délégation allait le porter au tsar pour tenter de le persuader de se rallier à l’idée d’une régence par l’impératrice Marie-Louise au nom de son fils. Intuitivement, l’empereur devinait que c’était auprès d’Alexandre qu’il trouverait l’accueil le plus favorable. Quant au sort de Napoléon lui-même, pour l’instant, il n’en était pas question.
Les trois plénipotentiaires auprès des alliés furent Macdonald, Ney et Caulaincourt. Une telle mission, pour ce dernier, était tout à fait normale puisque, depuis le 20 novembre précédent, il était ministre des Relations extérieures. Plusieurs personnes de l’entourage de Napoléon s’étonnèrent du choix de Ney, qui dans le passé avait plutôt pratiqué une diplomatie musclée. L’empereur leur expliqua précisément qu’en faisant ce choix, il avait désigné un envoyé qui bousculerait sans doute les alliés pour forcer leur décision. Était-ce le fond de sa pensée ? N’espérait-il pas que Ney, par son intransigeance, ferait échouer les pourparlers et lui permettrait de forcer ses maréchaux à reprendre le combat ? En tout cas, avant le départ il prit Caulaincourt à part et lui recommanda de veiller à ce que le maréchal ne prît aucun contact avec sa belle-famille ni avec Talleyrand. Car il commençait à voir clair dans le jeu d’Eglé et de son père et savait à quel point Ney pouvait être influençable.
Les délégués partirent le 4 avril, à quatre heures de l’après-midi. En arrivant à Essonnes, où Marmont avait établi son
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