Le maréchal Ney
bien. Lorsque les maréchaux se portèrent au-devant du comte d’Artois, frère du roi, le 12 avril, lors de son entrée à Paris, celui-ci leur réserva un de ces accueils pleins de charme qui sentaient la cour d’Ancien Régime. L’enthousiasme du peuple, en la circonstance, surprit Ney et ses frères d’armes. Ils n’avaient pas mesuré à quel point les Français aspiraient à la paix.
Les jours qui suivirent se passèrent à attendre le roi et le départ de l’empereur. Celui-ci quitta Fontainebleau le 20 avril, tandis que le premier débarqua à Calais le 24. Le roi arriva à Compiègne le 29 et y fut rejoint par les maréchaux venus au-devant de lui. Ils furent reçus par un gros homme, presque un vieillard, podagre, obèse, aux jambes difformes gainées de velours, vêtu d’un habit bleu, à la tournure militaire, à l’expression intelligente et amicale. Il fit tout son possible pour paraître chaleureux.
Fin et pénétrant, Louis XVIII avait compris que pour affermir son trône il devait s’assurer du concours de l’armée et était décidé à ne rien négliger pour cela. Faisant sienne la parole du duc de Wellington, il estimait que « sans armée, le roi de France n’était pas roi ». C’est pourquoi il se montra gracieux et aimable vis-à-vis de ces maréchaux qu’il ne connaissait pas et qui, la veille encore, servaient sans état d’âme celui qu’ils nommaient désormais l’usurpateur. Ces rudes soldats ne montrèrent aucun étonnement en découvrant leur nouveau souverain. Il leur parla avec chaleur et bonté, comme s’il les avait toujours fréquentés. Tous, Ney comme ses camarades, se rallièrent sans hésiter.
Lorsque Louis XVIII, qui marchait avec peine, car il souffrait de la goutte, posa ses mains sur les épaules de Macdonald et de Ney en disant qu’il « les considérait comme les plus fortes colonnes de l’État », ils furent instantanément conquis. Le roi les retint tous à souper et leur accorda sans vergogne le pas sur tous les gentilshommes de son entourage, dont certains étaient demeurés à ses côtés depuis la Révolution. Un incident quelque peu comique vint égayer le repas. Toujours dans le même état d’esprit, le roi, qui avait tenu à avoir ses visiteurs à sa table, leur déclara : « Messieurs les maréchaux, je vous envoie du vermouth et je bois à votre santé et à celle de l’armée. »
C’était une faveur rare, et le protocole exigeait que ses invités demandent à leur tour la permission de boire et crient : « Vive le roi ! » Mais bien entendu les maréchaux étaient fort ignorants de l’étiquette de Versailles. Croyant bien faire, ils se levèrent et burent comme un seul homme à la santé du roi, ce qui scandalisa toute l’assistance, à l’exception de Louis XVIII qui parut au contraire amusé. Il était décidé à ne pas se formaliser, lui qui était si pointilleux sur le protocole.
Commencés sous de si heureux auspices, les rapports du roi et des chefs de l’armée ne pouvaient qu’être excellents. Cette situation n’allait pas être du goût de tous les courtisans et surtout de leurs femmes. Ney était conquis et se découvrait fervent royaliste. Les marques de la faveur royale ne tardèrent pas à pleuvoir sur lui comme sur ses camarades : il reçut la croix de Saint-Louis, autre face de la Légion d’honneur, ainsi qu’un siège à la Chambre des pairs. En outre, le 20 mai, il fut promu au commandement du corps royal des cuirassiers, dragons, chasseurs et chevau-légers lanciers de France. Cela faisait de lui, en cas de conflit, le chef de toute la cavalerie royale. Le 26 juin, il devenait gouverneur de la sixième division militaire à Besançon.
Rien ne semblait trop bon pour lui. Le duc de Berry, neveu du roi, avait invité à danser la maréchale Ney et lui avait fait un brin de cour lors de plusieurs bals à Paris. Le roi avait daigné bénir les enfants du maréchal en leur disant : « Mes petits amis, soyez de braves gens comme votre père ; il vous donne le bon exemple. » Vu leur âge, seuls les trois aînés avaient été en mesure d’apprécier la bonté du souverain.
Seule ombre au tableau : lorsqu’une vacance se produisit parmi les gentilshommes de la chambre, le duc de Richelieu, fidèle à la pensée du roi, proposa un maréchal en avançant le nom de Ney. Louis XVIII y était favorable. Or la duchesse d’Angoulême fit sèchement remarquer à son oncle qu’à ses yeux ce
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