Le maréchal Ney
que lui valaient ses nombreux commandements, le maréchal devait être capable d’équilibrer son budget. On n’était plus à l’époque où toute l’Europe était mise à contribution. Néanmoins, si Ney en faisait la demande... On a vu qu’il n’osa pas.
Le roi, plus intelligent que la majorité des gentilshommes de son entourage, continuait à le traiter avec beaucoup d’égards et même de considération. Ney y était sensible. Il éprouvait un réel attachement pour le monarque. Mais il ne prisait pas la vie de cour et séjournait de plus en plus dans sa propriété d’Eure-et-Loir. Sa femme n’aimait pas la campagne, mais l’accompagnait, car elle ne supportait plus, disait-elle, les rebuffades que lui infligeaient les dames de l’ancienne noblesse.
Un nouveau sujet de mécontentement s’était ajouté aux autres griefs qu’elle entretenait contre l’entourage du roi. Sa tante, Mme Campan, avait perdu son poste de surintendante de la maison de la Légion d’honneur à Ecouen, avec les avantages matériels qui y étaient attachés et auxquels elle tenait fort. Sur les instances de sa femme, Ney intervint pour la faire réintégrer. Mais il n’y mit pas beaucoup de conviction, car entre lui et Mme Campan il n’y avait jamais eu énormément de sympathie. Ainsi, dans la famille Auguie, redevenait-on tout doucement bonapartiste. Ces gens estimaient que le pouvoir se montrait ingrat à leur égard. Position d’autant plus facile à adopter qu’ils la jugeaient sans conséquence. Rien ne laissait supposer que l’ex-empereur pût un jour quitter de son plein gré sa résidence de l’île d’Elbe. C’était l’époque où les premières conspirations se nouaient contre les Bourbons. S’y retrouvaient des mécontents de toute nature : militaires « en chômage », civils offusqués de voir d’anciens émigrés promus à des postes qu’ils convoitaient... Quelques anciens hauts dignitaires de l’empire, avec prudence, se contentaient de donner une vague caution morale.
Efficace, la police était parfaitement au courant de tous ces mouvements et les surveillait, en attendant d’arrêter des comploteurs qu’elle connaissait du premier au dernier.
Ney était étranger à ces conjurations. S’il lui arrivait de critiquer à haute voix le pouvoir, sa mauvaise humeur ne dépassait pas le stade de la parole. Il s’était donné au roi et entendait lui rester fidèle. D’ailleurs, le souverain avait toute confiance en lui. Aussi le duc d’Elchingen supportait-il difficilement ce qu’il nommait les « jérémiades » de sa belle-famille et la priait d’y mettre une sourdine. Mais sans vouloir y donner prise, il entendait à longueur de journée ces récriminations. Peut-être faut-il voir là, entre autres, une cause de l’étonnante volte-face qui sera la sienne quelques mois plus tard.
Pour l’heure, le maréchal s’ennuyait. Une vie militaire faite seulement de parades n’était pas celle qu’il avait connue, appréciée et aimée. Si Napoléon avait reproché à ses lieutenants de ne rêver que d’une vie dorée d’oisifs aux bords de la Seine, à Ney manquait le son du canon. Or, dans les derniers jours de l’année 1814, la paix semblait solidement établie et pour longtemps. Le congrès de Vienne, même si ses travaux avançaient lentement, était en passe de régler tous les différends, y compris les plus minimes, entre les États européens. Aussi le prince de la Moskowa songeait-il à prendre sa retraite. Il était encore jeune, puisqu’il n’avait que quarante-cinq ans. Mais vingt-cinq années de guerre avaient sérieusement ébranlé son état physique.
Au début de la Restauration, il s’était assez bien entendu avec son ministre, le général Dupont, malheureux bouc émissaire de l’affaire de Bailen, qui avait autrefois servi sous ses ordres. Mais depuis le 3 décembre, celui-ci avait été remplacé par Soult, avec qui Ney était toujours à couteaux tirés. Ses multiples fonctions n’étaient pas très absorbantes et lui laissaient beaucoup de temps pour réfléchir. Il s’imaginait déjà en gentilhomme campagnard, coulant des jours paisibles entouré de quelques amis et camarades. Peut-être serait-il tenté d’écrire ses mémoires ?
C’est pourquoi, dès les premiers jours de 1815 il demanda un congé de plusieurs mois qu’il comptait passer dans sa propriété, tout en demeurant en rapport avec ses différents subordonnés. Rien, du
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