Le Maréchal Suchet
qu’une bataille se livrerait sous deux ou trois jours. L’armée française se déploya au pied du plateau de Pratzen qu’elle avait évacué. Davout commandait la droite, Soult le centre et Lannes la gauche. Si les deux premiers menèrent une action assez bien conjuguée, Lannes livra une bataille presque séparée face au corps russe du prince Bagration. Il n’avait que deux divisions d’infanterie : celle de Cafarelli qui restait en liaison avec la réserve de Bernadotte et celle de Suchet qui tenait l’extrême gauche de la ligne française. Elles étaient soutenues par une division de cuirassiers. En face, les Russes alignaient quatre-vingt-neuf escadrons de cavalerie lourde et une douzaine de régiments d’infanterie. Dès le matin, les divisions de Lannes se portèrent en avant mais se heurtèrent à Bagration qui avait pour mission d’ouvrir la route de Brünn puis de Vienne. Attaquée par la cavalerie russe, l’infanterie française formée en carrés l’accueillit par un feu soutenu qui brisa les charges. L’infanterie russe (quinze mille hommes), appuyée par quarante pièces de canon, se lança à son tour. Dans ses mémoires, le général Lejeune raconte que, pour rendre ses hommes plus agiles, le commandant de l’infanterie russe avait fait poser à terre les sacs de ses soldats en leur assurant que ceux des Français qu’ils prendraient étaient pleins d’or !
Ils furent repoussés à leur tour et dans leur retraite n’eurent pas le temps de récupérer leurs biens qui tombèrent aux mains des soldats de Suchet et de Cafarelli. Ceux-ci se montrèrent d’abord enchantés de leur prise ; mais à la joie succéda la déception car les havresacs des Russes ne contenaient que des images pieuses et du pain sec d’assez mauvaise qualité
Sans aucun soutien sur sa gauche, la division de Suchet qui continua à mener son offensive réussit à repousser l’infanterie de Bagration, l’enfonçant par cette action énergique et la séparant du centre des alliés. Il reçut des félicitations (et des éloges) pour avoir mené sa marche en avant en échelons, par régiments comme à l’exercice, sous le feu de l’artillerie russe. Cependant, le corps de Bagration n’était nullement dispersé et, s’il rétrogradait, il gardait toute sa force. Toutes proportions gardées, la division de Suchet fut celle qui accusa le plus de pertes durant la bataille. La nuit commençait à tomber et Lannes n’osait pas continuer à poursuivre un adversaire qu’il sentait encore redoutable. Il arrêta donc son mouvement. Autant ses divisionnaires que lui étaient dans l’ignorance de ce qui se passait sur les autres portions du champ de bataille. Sur sa droite, Bernadotte s’était également arrêté. Ainsi, pour l’aile gauche française, se termina la bataille d’Austerlitz.
Le soir du 2 décembre, Napoléon invita Suchet à souper. L’empereur était d’excellente humeur et accordait toutes les récompenses sollicitées. Suchet en profita pour demander de l’avancement pour plusieurs de ses adjoints directs. Mais il eut la discrétion de ne rien réclamer pour lui.
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Conformément au traité de Presbourg signé le 26 décembre entre la France et l’Autriche, l’armée française commença à évacuer par étapes le territoire autrichien et se replia sur l’Allemagne. Toutes les chancelleries européennes escomptaient qu’elle quitterait ce pays dans un second temps. Or il n’en fut rien. Napoléon la déploya en un vaste arc de cercle du Hanovre à la Bavière, chaque corps d’armée occupant une zone bien déterminée. Cet éparpillement était avant tout dicté par des soucis de facilité de ravitaillement. Napoléon voulait maintenir cet état de fait tant que la Russie n’aurait pas évacué la Pologne. Mais la présence des troupes françaises à proximité de sa frontière commençait à donner quelques inquiétudes au gouvernement prussien.
Le corps de Lannes demeura donc en Allemagne. Il comprenait à présent trois divisions d’infanterie et Suchet installa la sienne aux environs de Königshoffen. Ce fut là au début de février 1806 qu’il apprit qu’il avait été promu « Grand Aigle » de la Légion d’honneur, beaucoup plus tard que bien d’autres généraux. Tout l’hiver et le printemps, il entraîna les cinq régiments et le bataillon d’élite qui constituaient la base de la division. Dans sa tâche, il était aidé par trois excellents généraux de
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