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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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et dit :
    — Navré, c’est l’habitude (115) .
    Lorsque Louis fut sorti, Margot s’amena en se dandinant, inquiète. Elle souffla :
    — Oh, mon père, il est abominable, cet homme. J’ai vu ce dessin. C’est l’Escot* qui l’a fait ?
    — Oui. Il a tout découvert.
    — Bonne Mère de Dieu ! Et la petite ?
    — Pas elle, rassure-toi.
    Margot poussa un soupir de soulagement et se laissa tomber sur un coffre. Tout en sachant que d’autres oreilles que les siennes l’entendaient, le moine ajouta :
    — Jehanne est protégée, mieux que nous-mêmes. Elle voit également plus loin que nous tous. Je m’en suis assuré. Louis est venu à nous pour une raison précise. En conséquence, nous devons nous acquitter de la tâche que le Tout-Puissant nous a confiée. Pensons aussi à Samuel.
    — Lui, il est bon.
    Il sourit encore en direction de l’escalier, sur lequel il avait une vue directe grâce aux battants de la porte menant à la cuisine qui étaient restés ouverts.
    — Le meilleur jeune homme qui puisse exister. Il est Adam qui n’a pas encore croqué la pomme. C’est pourquoi il a lui aussi besoin de nous.
    — La pomme…
    — Puisque nous abordons le sujet du jardin d’Éden, je t’en prie, Margot, ne va pas imaginer le maître dans le rôle du serpent. Non, ce serait trop facile.
    — Oh, laissez tomber la théologie, pour une fois, mon père. Qu’il soit une manticore* me suffit amplement.
    Le regard de Lionel s’égara parmi les créatures magiques de la tapisserie. Il dit, comme pour lui-même :
    — Quoi qu’on en dise, je suis persuadé qu’une certaine forme de magie existe bel et bien en l’homme. Il s’agit d’un pouvoir si terrifiant que nulle autre forme de puissance surnaturelle n’est vraiment nécessaire. J’ai appris qu’il n’est besoin que d’un seul mot ou d’un simple geste pour engendrer un monstre. Là se trouve la vraie magie.
    Margot et Sam écoutaient sans comprendre. Le débit du père Lionel s’était curieusement ralenti. Il n’était plus saccadé. Peut-être avait-il oublié qu’il n’était pas seul.
    — Je crois que l’Église en a peur, car cette forme de magie est, hélas, trop souvent engendrée par la méchanceté des hommes. Pourtant, on oublie facilement qu’il suffit aussi d’un seul autre mot ou geste pour neutraliser le monstre. L’histoire regorge de dragons terrassés, souvent par ceux-là mêmes qui les avaient conçus. Toutes les conséquences de cette magie tiennent là, dans ce lourd héritage que l’homme arracha jadis des mains de son Créateur et qui s’appelle conscience.
    *
    Le père Lionel avait été beaucoup plus étonné qu’il ne l’avait montré par le dessin de Sam. L’esquisse était certes rustique. Elle avait été tracée en hâte au fusain sur une vieille retaille de parchemin dont il s’était départi. Elle était tachée et l’un des bords en était troué. Mais la Faucheuse de Sam lui avait révélé quelque chose d’inattendu chez le garçon : il avait un don. Et pas seulement un don, mais aussi une grande audace.
    Depuis des siècles, les visages sur les illustrations avaient tous été plus ou moins identiques. Ceux des hommes étaient simplement peints en une teinte plus foncée que ceux des femmes. Il n’y avait pas de véritable portrait. Cela n’avait jamais été un besoin, car on s’attardait moins à définir un personnage précis que ses actions ou le contexte dans lequel il évoluait. Les choses n’avaient commencé à changer que quelques années plus tôt, avec la création d’un portrait du roi Jean le Bon (116) , dont il avait entendu parler par sa correspondance avec Nicolas Flamel. Évidemment, Sam ignorait tout cela. Pourtant, lui aussi venait de représenter un individu en dessinant ses traits de façon tout à fait reconnaissable : cheveux raides presque aux épaules, petite mèche sur le front, sourcils froncés sur un regard de prédateur, nez et lèvres fins. En dépit de la dérision qu’il véhiculait, on ne pouvait pas qualifier ce travail de caricatural.
    Ce fut par ce dessin que Lionel choisit d’œuvrer « pour le salut » de Sam. Mais avant de songer à rendre cette noble tâche possible, il fallait la faire précéder d’une autre, beaucoup moins édifiante, celle-là.
    Il soupira, assis par terre au milieu du gâchis occasionné par une caisse qui l’avait suivi dans sa dégringolade en bas de l’escalier.
    — Pas de bobo, mon

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