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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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montrer. Il est de toute beauté. De l’azurite ou, si tu préfères, de la pierre d’Arménie. C’est un pigment étrange qui devient noir s’il est chauffé. Je ne possède pas non plus de ce jaune brillant qui fit, hélas, payer fort cher le prix de sa beauté. Il ne s’en fait plus aujourd’hui.
    — Pourquoi ? Qu’est-il arrivé ?
    — Il était fait de cristaux d’orpiment qui contiennent de l’arsenic. Des apprentis enlumineurs moururent jadis pour l’avoir utilisé.
    — Oh…
    — Voici du fuchsia, fabriqué avec du kermès. Qui croirait que ce sont de petits parasites du Languedoc qui, une fois bouillis et desséchés, donnent cette teinte si éclatante. Ce vert de Flambé, ce sont plus simplement des fleurs broyées. J’en ai la recette quelque part par là.
    — Et il y a l’or.
    Lionel entreprit de tirer sur un fil qui s’était imprudemment décousu de sa manche.
    — Ah, bien sûr, il y a l’or. En feuille ou en poudre. Si tu tiens à en avoir, il faudra que tu t’arranges tout seul, car le maître Baillehache n’a sûrement pas les moyens de m’offrir une telle extravagance. Surtout lorsqu’on peut se débrouiller avec des substituts tout à fait convenables : des œufs, du jus d’ail, de la gomme ammoniaque et de la colle de poisson. Je n’ai pas de feuilles d’argent non plus et malheureusement, pour cette teinte, il n’existe aucun substitut. Bien. Pour conserver tous ces pigments, il faut les mélanger avec un jaune d’œuf, du vinaigre et de la gomme arabique. Enfin, pour que l’encre garde une consistance bien lisse, on doit y ajouter un peu d’urine. Mais attention : très peu, sinon cela brûlerait le parchemin.
    Dans un pot de grès ébréché, le père Lionel avait planté ses plumes comme pour en faire un maigre bouquet : plumes de roseau, d’oie et de sarcelle. Mais il y avait aussi un crayon de laiton à pointe d’argent servant à dessiner les brouillons d’enluminure, de même qu’un autre crayon qui, lui, était utilisé pour le travail préliminaire : il était fait d’un alliage de plomb et de fer-blanc.
    — Tiens, dit Lionel, en remettant à Sam des miettes de pain que l’adolescent se mit à manger machinalement.
    — Ces miettes servent d’efface, précisa Lionel en riant.
    — Oh ! pardon. Je tâcherai de ne pas commettre d’erreurs ! L’après-midi même, il entreprit l’esquisse d’un portrait, un vrai, celui-là.
    Le dessin ne fut pas le seul sujet d’apprentissage pour Sam. Lionel entreprit également de lui saturer l’esprit de théorie musicale.
    — C’est devenu nécessaire et je crois que ton grand-père serait d’accord. J’ai remarqué que, depuis quelque temps, tu laisses tes propres sentiments modifier les œuvres que tu interprètes. C’est un penchant néfaste qu’il te faut réprimer si tu souhaites devenir un bon musicien. On ne joue pas une ballade romantique quand on a la rage au cœur. Tu fais dire à Guillaume de Machaut (120) des choses que le pauvre homme n’a sans doute jamais pensées.
    À partir de ce jour-là, Louis dut consentir à se passer de Sam pendant plusieurs heures quotidiennement pour que l’enseignement lui soit prodigué de façon intensive. Louis fut bien obligé de convenir que cet arrangement portait ses fruits : le jeune apprenti du moine n’avait plus un seul instant à lui pour songer à commettre quelque mauvais coup.
    *
    Comme le temps parlait d’orage, certains ne furent pas tentés de s’éloigner de la maison. Louis décida d’en profiter pour entreprendre le battage du blé. Il appela Sam et Thierry à la rescousse. Cette opération, qui visait à séparer le grain de la paille, pouvait être effectuée à longueur d’année, même en hiver, dans le bâtiment. On ne pouvait jamais la compléter en une seule fois à cause des nombreuses autres tâches de la ferme.
    Louis et Sam délièrent des gerbes qui avaient été entassées dans un coin et les étendirent sur l’aire de battage balayée avec soin. Thierry allait pour sa part s’occuper du vannage. Équipé d’un grand panier plat et souple destiné à recevoir le blé battu, il allait s’installer devant la grange pour lancer son contenu en l’air et le rattraper jusqu’à ce que le grain, débarrassé de sa balle légère qui était emportée par le vent, fût parfaitement nettoyé et prêt à mettre en sac (121) .
    Armés de leurs fléaux, les deux hommes se firent face. Louis frappa le premier.

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