Le mariage de la licorne
dommage que nous n’ayons pas de vrai couturier au village.
Car les femmes n’avaient pas pu prendre les mesures de Louis et s’étaient contentées de lui emprunter une de ses tuniques mise à la lessive pour concevoir un patron rudimentaire.
— N’ayez pas d’inquiétude, ma tourterelle. Soyez assurée que ce cadeau lui plaira beaucoup. Il ne dort qu’en chemise de lin, même l’hiver, vous savez. Et là-haut, sous les combles, même avec un brasero*, il ne fait guère chaud. Croyez-vous qu’il viendra faire un tour aujourd’hui ?
— Sûrement, puisqu’il n’est pas venu hier. Il sait que je vais le disputer s’il passe plus d’une semaine sans venir me voir.
— Il doit avoir bien peur. Allez, lâchez ça, ma fille. Je me charge du reste.
— Margot…
La main posée sur une des nouvelles chemises pliées, la jeune fille se passa la langue sur les lèvres.
— Qu’est-ce qui ne va pas, ma tourterelle ? Je vous trouve bien pâle depuis le début de la belle saison. Serait-ce le mariage qui vous tourmente ?
Jehanne fit signe que oui et se mordit les lèvres avant de se jeter dans les bras de l’aimable vieille gouvernante.
Même dans son for intérieur, Margot refusait d’admettre qu’elle avait bien pitié de sa petite Jeannette. Elle s’efforçait pourtant d’aborder le sujet avec détachement, comme si cela eût contribué à adoucir l’inéluctable. Elle savait d’avance que toute la rigueur qu’on attendait d’une noble dame n’allait pas convenir à la santé de ce petit pinson enjoué. Elle avait eu beau inoculer en Jehanne tous les principes qui avaient cours, elle avait la certitude que l’adolescente allait un jour ou l’autre en enfreindre la majeure partie. Et un homme comme ce Baillehache n’allait sûrement pas tolérer le moindre manquement. Elle reprit donc, tout en caressant avec la tendresse d’une mère les bandeaux dorés de ses cheveux :
— Là, là, je serai toujours auprès de vous, ma fille. Mais dès demain ce sera dans ses bras à lui qu’il vous faudra trouver refuge. Je sais que c’est difficile. Maître Baillehache n’est pas quelqu’un qui se laisse connaître facilement. Mais vous pourriez être surprise. Soyez prévenante avec lui. Apprenez à découvrir les choses qui lui plaisent et faites-les. Certains maris sont ivres et brutaux lors de leur nuit de noces, mais pas tous. Je ne vous ai parlé de cela que pour vous préparer à cette éventualité. Il sera peut-être très doux.
— C’est vrai qu’il l’a toujours été. Je l’aime, j’ai hâte, mais en même temps il me fait peur. C’est un bourrel*, Margot ! J’en ai le frisson à l’idée qu’il a sûrement exécuté des femmes comme moi.
— Et alors ? Vous n’êtes pas condamnée à mort, que je sache ?
— Je crois que si.
— Oh, oh, ça suffit maintenant. Vous allez me cesser tous ces enfantillages. Nous n’avons pas le choix, vous le savez aussi bien que moi.
— Où est le père Lionel ?
— Il est à l’église du village avec votre futur mari. Les épaules de Jehanne s’affaissèrent.
— Si je lui déplais, crois-tu qu’il me battra ?
— Jehanne. C’est à lui qu’il vous faudra poser cette question. Souvenez-vous de ce dont nous avons parlé. Dès votre mariage, vous serez placée sous son autorité à lui. Il aura la permission de faire avec vous ce qu’il jugera bon de faire, que ce soit juste ou non. Vous lui devez fidélité et obéissance. Il vous faut dès maintenant accepter votre devoir qui est de vous donner à lui. Le dessein d’un couple est de concevoir des enfants pour assurer la continuité de la maison. De sa maison, bientôt.
Les paroles réconfortantes qu’elle avait attendues n’étaient pas venues. Devoir demander la permission à son « propriétaire » pour le moindre détail lui faisait horreur.
Elle se dégagea de l’étreinte de Margot et dit, avec un subit regain d’énergie :
— Je ferai de mon mieux. Voilà ce que je lui dirai. C’est sûr qu’il comprendra si je commets parfois des erreurs, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un monstre après tout.
Elle s’éloigna en tâchant de s’en convaincre.
Jehanne avait peur du lit et de la nuit. Même si elle n’avait qu’une vague conception de l’acte sexuel, elle pouvait déjà imaginer le visage contorsionné de Louis haletant au-dessus du sien. Elle se raidissait d’avance à l’idée d’avoir mal, d’avoir à être écrasée
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