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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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trônait au centre de la table. Il s’agissait d’une denrée précieuse, laborieusement acquise, puisqu’elle provenait des grains qu’ils avaient glanés à l’automne. Louis les avait lui-même moulus entre les deux meules de granit et avait confectionné les pains à partir de la farine grossière que ce long travail avait produite. Dès la fin du bénédicité, Lionel, qui était assis en face de Louis à l’autre bout de la table, prit l’une des petites miches plates dans le panier. Il hésita avant de la tendre au métayer silencieux qui se contenta de le regarder sans bouger. Le moine dit, en souriant :
    — Au boulanger la grâce de bénir le pain (40) . Si vous le voulez bien…
    Lionel ajouta un peu timidement :
    — … mon fils.
    Louis jeta un rapide coup d’œil autour de lui avant d’accepter de prendre la miche. Il traça un rapide signe de croix sur la croûte avant de séparer le pain en morceaux qu’il distribua. Contrairement à l’usage, il n’ajouta rien à la prière déjà récitée par le moine.
    Après le repas, Louis s’en alla au moulin et y passa le reste de la soirée.
    Ce fut là, le lendemain avant-midi, qu’un courrier en provenance de la ville alla le retrouver. Deux heures plus tard, Louis se mettait en route pour Caen. Il fut absent une semaine.
    Malgré le fait qu’il passait le plus clair de son temps au moulin – ou bien en ville, car il y allait assez fréquemment et n’y passait jamais moins de trois jours –, la promiscuité à laquelle l’hiver contraignait les habitants du manoir amena ces derniers à réaliser avec encore plus d’acuité combien leur maître pouvait s’avérer distant et sévère. Jehanne elle-même n’osait pas s’adresser à lui plus que nécessaire. Louis ne participait jamais aux conversations. Il ne se confiait pas à eux. S’il était là, il se contentait de les écouter parler et n’ouvrait la bouche que pour donner des instructions ou dire où il allait. Sinon, il ne répondait à leurs questions que si elles lui étaient directement adressées.
    À son retour, il ramena diverses pièces de métal et de bois, un peu d’outillage et des provisions sèches. Il montra le contenu du petit traîneau à Aedan et dit :
    — J’ai tout ce qu’il faut.
    — Ouais ! Alors, quand est-ce qu’on commence à le rénover, ce moulin ?
    — Aussitôt que possible.
    Les autres sortirent également dans la cour pour jeter un coup d’œil sur ce que le maître avait rapporté.
    Il était parfois facile d’oublier que ces expéditions en ville ne se déroulaient pas sans heurts. Louis omit de raconter qu’il avait été agressé à Caen alors qu’il se rendait à l’île Saint-Jean par voie d’eau avec un passager. Dès qu’il avait atteint la rive, il avait dû trouver l’écrivain public afin de lui faire rédiger une missive destinée au bayle :
    « Messire le bayle, je vous annonce que le dénommé Leblond, détenu par moi pour tentative de vol et attaque contre ma personne, a péri, car j’ai dû en faire justice. Il se trouvait avec moi sur le bac quand il m’a assailli. Il a perdu pied et est tombé à l’eau. Malheureusement pour lui, c’est avec mon boulet auquel son pied était enchaîné que ce voleur est parti. »
    La lettre était signée d’un pictogramme en forme de hache et s’accompagnait d’une note de frais pour l’acquisition d’un nouveau boulet.
    Il était heureux que Louis ne fît pas trop fréquemment d’humour. Le bayle en avait eu la chair de poule.
    L’atmosphère du manoir était détendue et la réserve de ses habitants s’était quelque peu relâchée par l’effet du bon vin qu’ils étaient en train de siroter au moment du retour de Louis. Lionel paraissait aussi excité que Sam à la vue de tous les objets hétéroclites protégés par une toile. Il dit, en désignant Aedan qui avait déjà entrepris la confection d’un grand cadre en bois que le métayer lui avait commandé :
    — Décidément, messire le charpentier que voici est en train de se bâtir une réputation avec son maillet et du chêne bien poncé.
    — Qu’est-ce que c’est encore que ce machin ? demanda l’Écossais en soulevant l’un des objets.
    — Une signole*, répondit Louis.
    — Oui, bon, je le sais bien que c’en est une. Je ne suis ni aveugle ni idiot. Mais c’est pour quoi faire ? Et le cadre ? On n’a pas besoin de ces trucs-là dans le moulin.
    — Ça me regarde.
    Louis lui

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