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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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souvent ses frères d’ordre avec une ostentation inconvenante, il se contentait d’une vieille aumusse* à capuchon noué. Elle avait remplacé sa cloche* de pèlerin qui était hors d’usage.
    Il consacrait un grand nombre d’heures à l’élaboration des prêches qu’il prononçait dans la minuscule église du village. Le sermon populaire avait beau être le moyen de communication sociale privilégié par l’Église, parfois Lionel avait l’impression que ses quelques paroissiens n’en retenaient pas grand-chose. Cela ne les empêchait pourtant pas d’assister fidèlement à l’office quotidien. Grands et petits s’étaient pris à aimer le doux et timide père Lionel qui s’amenait de bon matin, sa coule noire empoussiérée de neige et la tête pleine d’idées fantasques qu’il présentait avec tant d’ardeur qu’on était forcé d’y croire, même si on ne les comprenait pas toujours.
    Raymond Lulle, Dante et Maître Eckhart, avec ses sermons allemands, avaient laissé leur marque sur l’époque et, secrètement, dans la modeste bibliothèque du manoir que Nicolas Flamel ne se faisait jamais défaut d’alimenter dès qu’il le pouvait. Ainsi le moine isolé put-il être en mesure de développer des connaissances, voire une philosophie nouvelle à l’intention des laïcs. Il ne s’agissait plus seulement de transmettre un message cent fois ânonné du haut d’une chaire, mais d’exposer un savoir qui pouvait toucher tout le monde, particulièrement ceux qui, selon la belle métaphore utilisée par Dante, n’avaient pas eu le privilège de participer aux banquets où l’on servait le « pain des anges », c’est-à-dire d’accéder à l’enseignement de la culture savante et religieuse des clercs.
    — Tout ce en quoi nous avons cru, tout ce que nous avons révéré, tout cela semble s’achever, disait le père Lionel. Que ce soit papauté, croisades ou chevalerie, l’idéal se perd. La foi est ébranlée. L’ancienne féodalité part en débandade. Notre société se fondait sur deux modèles : l’empereur et le pape. Or, l’empire s’est effondré par la faute de la peste et de la guerre ; le pape n’est plus que le valet d’un roi vaincu. Pourquoi ? Pourquoi la pensée humaine, une chose admirable s’il en est, se sent-elle moins révoltée que découragée ? Ne vous interrogez-vous pas comme moi sur toutes ces horreurs qui sont en train de l’abattre, voire de l’éteindre ?
    Les gens se mettaient à s’interroger. C’était passionnant, il fallait en convenir. Personne ne disait ces choses, ni même ne s’en rendait bien compte.
    — Que nous reste-t-il donc ? La foi, me direz-vous. Mais quelle foi ? Il ne nous en reste plus guère, puisque la fin du monde a déjà été fixée, par certains qui l’espèrent bien fort, à l’an 1365. N’avons-nous rien de mieux à faire que de vouloir en finir, tout bêtement comme ça, et de laisser le monde en plan parce qu’il nous déplaît par notre propre faute ? Est-ce un monde grabataire comme celui-ci que nos mains tendues et nos prières ferventes tiennent tant à offrir au Tout-Puissant qui est un Dieu de Vie ?
    On eût dit qu’une fois que les mots avaient été prononcés par le père Lionel, tout devenait clair et les gens trouvaient une explication plausible à leurs malheurs. Dès lors il devenait possible d’y remédier. On reprenait goût à la vie et on se demandait pourquoi on avait perdu courage.
    Les paroles passionnées du père Lionel faisaient du bien à tout le monde sauf à lui-même. Quelque chose manquait. C’était comme une soif qu’aucune merveilleuse abstraction, qu’aucun livre enluminé ne pouvait assouvir.
    *
    Hiscoutine, quelques jours plus tard
    — J’ignore pourquoi, mais il est des fois où il me fait pitié, ce pauvre homme, dit Margot alors qu’elle jetait un coup d’œil par les volets de la cuisine qu’elle avait brièvement ouverts.
    Elle en était à parachever le souper et tous les autres étaient déjà à table, sauf Louis, qui était en ville, ainsi qu’elle et Hubert qui s’affairaient encore. Ce dernier aussi regarda par la fenêtre. Il ne répondit pas à sa femme et se contenta de regarder le moine arriver, tête basse, jusqu’à la porte. Il alla lui ouvrir avec l’empressement du sauveteur envers le naufragé.
    — Bonjour, mon père. Entrez donc. Vous arrivez juste à temps pour partager notre repas.
    Lionel, confus, bredouilla :
    — Oh,

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