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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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dit :
    — Jehanne, Sam, puisque vous en avez terminé, pourquoi ne sortiriez-vous pas prendre un peu l’air avant d’aller au lit ?
    Ne tenant déjà plus en place, les deux enfants ne se firent pas prier, même si cela signifiait qu’ils allaient manquer la suite de l’histoire. Il était effectivement fort rare qu’ils aient la permission de sortir le soir après souper. Cela ne faisait que rendre la perspective d’un jeu nocturne plus attrayante encore. Une fois qu’ils furent sortis, engoncés dans leur habillement hivernal et nourrissant leurs soupçons à propos d’un chevalet* en guise d’étrenne, Aedan reprit le fil de la conversation là où il l’avait laissé.
    — Ouais. Il y a un chevalet* démonté dans le moulin. Et ce n’en est pas un pour la peinture, croyez-moi. C’est pour ça qu’il défend aux petits d’entrer dans le bâtiment. Rien à voir avec les rouages brisés. Ce truc-là, c’est nouveau, qu’il a dit. Je l’ai vu y poser une espèce de crochet à viande et un seul cylindre, au lieu de deux, sur quoi il m’a fait installer un bidule qu’il a ramené de la ville. Cela produit un clic-clic quand il le tourne pour enrouler la corde.
    — Pour l’amour du ciel, l’Escot*, taisez-vous, dit Blandine dont le visage était soudain livide.
    Ils savaient tous ce qui les attendait si les enfants venaient à apprendre quoi que ce fût. Rien n’invitait davantage à la discrétion que l’éventualité d’une malédiction de bourreau. Les années de pratique de Louis lui avaient appris nombre de choses utiles, entre autres celles d’utiliser à bon escient les superstitions des gens. Cela lui avait rendu un fier service le jour même où les domestiques avaient fait cette sordide découverte du chevalet*. Lorsqu’il les avait surpris tenant conciliabule dans la cuisine, il avait tendu vers eux une main terrifiante, le regard braqué sur eux, et avait menacé :
    — Prenez garde à vous, misérables, que je n’aie pas à vous maudire. J’ai prévenu Satan. Si vous dites un mot de plus là-dessus, je vous conduirai moi-même aux portes de l’enfer.
    À l’évocation de ce souvenir encore frais à leurs mémoires, Blandine haleta et dit encore :
    — Il en est capable, j’en suis certaine. Je n’aime pas ses yeux. Ils sont tellement… éteints. Non, pas éteints. Ce n’est pas le bon mot. Ce ne sont pas les yeux d’un homme. On dirait qu’ils fouillent en dedans. Je n’aime vraiment pas ça.
    — Je vois ce que tu veux dire, répondit Margot. Tu as raison. On dirait que ça lui arrive d’être… je ne sais pas, ailleurs, peut-être. Comme si nous n’existions pas pour lui. Il est ou bien fou, ou bien dangereux. Nous devons absolument trouver un moyen de le faire partir d’ici.
    — Il n’est pas fou. Mais je le crois néanmoins malade, renchérit Thierry.
    — Je sais qu’il y a quelque chose, commença Lionel, qui s’était tu jusque-là.
    Ils se tournèrent tous vers lui pour entendre son conseil. Le moine prit son temps pour dire, d’une voix dont l’inflexion était ralentie sous l’effet d’une profonde méditation :
    — Il a rejoint les rangs de ces hommes qui, pour avoir manqué de l’essentiel, sont devenus ce que nous appelons des monstres. La violence est un mode de vie, pour lui, à la fois en tant qu’homme qu’en tant que bourreau. Et un bourreau n’est pas facile à aimer, j’en conviens.
    — Un bourreau cruel, devriez-vous dire, corrigea Aedan. Lionel le regarda si intensément que le vieillard regretta ses paroles. Et cela ne lui arrivait pas souvent.
    — C’est un fils de Caïn. Aucun doute là-dessus, renchérit le moine.
    — Ouais.
    — Cela dit, ne sommes-nous pas tous des fils de Caïn, mon cher Aedan ? Abel n’a pas eu de descendance.
    Le vieillard resta muet. Lionel reprit :
    — J’ignore si notre maître est cruel ou non. Je ne suis pas encore arrivé à le savoir. En revanche, ce que je sais, c’est qu’il l’a effectivement été et n’a pu trouver autre chose comme réponse à la vacuité de son existence.
    Aedan dit :
    — Je n’y comprends rien. Blandine, crois-tu qu’une bonne bière m’y aiderait ?
    — Essayons toujours, dit la servante dont le rire très communicatif avait le son joyeux d’un ruisseau de printemps. Lionel poursuivit :
    — Au risque de déplaire aux bien-pensants, je considère que la cruauté en soi n’est pas plus blâmable qu’une autre pulsion, qui, elle,

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