Le mariage de la licorne
effarouché cherchait refuge sur la tête de l’une ou de l’autre en semant ses plumes partout. Thierry, Hubert et Aedan s’efforçaient sans succès d’immobiliser quelque chose, qu’il s’agît d’un bipède ou d’un quadrupède. Et Louis, qui avait soudain surgi de nulle part, assistait à l’incident depuis le seuil de la grande pièce en se demandant s’il devait intervenir, car Margot lui avait poliment rappelé plus tôt que, normalement, le futur fiancé ne se présentait à la maison de sa promise qu’au moment de l’échange des vœux. En ce moment précis, il semblait plutôt content de ne pas avoir à s’en mêler. Sam, la main sur la bouche pour étouffer son hilarité, le regarda sortir dans la cour plus paisible avec le stoïcisme qui le caractérisait. Le garçon se laissa rouler dans une congère en échappant un grand soupir de satisfaction. « Et ce n’est qu’un début », se dit-il.
Il ne se rendit pas compte qu’une ombre silencieuse était en train de s’avancer vers lui. Il se rassit brusquement lorsque la grande silhouette s’immobilisa devant lui, à contre-jour, la main tendue.
— C’est-pas-moi-j’ai-rien-fait, dit-il hâtivement, ne sachant trop à quel genre de représailles s’attendre de la part de ce bonhomme.
Louis ne répondit pas. Sam plissa les paupières et mit une main en visière. Il vit que l’homme lui tendait deux galettes au miel. De la vapeur blanche s’échappait de son nez et allait se perdre dans la lumière aveuglante. Le gamin, saisi, ne fit rien.
— Prends-les. Tu avais faim, oui ou non ?
— Oui. Merci, dit l’enfant, qui prit les galettes et baissa les yeux. Louis partit sans ajouter un mot.
Sam posa les galettes sur ses genoux. Il fut incapable d’y mordre, même si elles avaient l’air alléchant. Il n’avait plus faim. La honte s’étalait en lui comme une grosse tache d’encre renversée par la faute de ce petit cadeau. Il ne put la supporter et s’élança vers la tour. Les deux galettes tombèrent sans bruit dans la neige.
Il lui fallait à tout prix se cacher : de Jehanne, de seanair* et de Louis. Mais surtout de Dieu qui, de là-haut, voyait tout. Le toit effondré de la tour n’allait sûrement pas suffire à dissimuler les méfaits qu’il avait si clairement imaginés : il s’était vu en train de piétiner pâtés et gâteaux plats, de jeter par terre les beaux gobelets et l’aiguière préférée de Margot, de renverser dans le feu la grande marmite de potage crémeux que la grosse domestique avait mis plusieurs heures à préparer. Au cours de la matinée, il avait chapardé une poignée de précieux sel qu’il avait destiné à gâcher la bouteille de vin doré d’Épernay que l’usurpateur avait posée sur la table un peu plus tôt. Sam avait fait serment de détruire un à un chacun des mets succulents qu’on allait présenter au banquet de fiançailles.
— Sam ?
La voix de Jehanne le fit sursauter.
— Ici, dit-il.
Peu à peu, la pénombre envahissait l’intérieur de la tour.
— Je te cherchais. Le chien du père Lionel a volé deux galettes. On les a retrouvées dehors, intactes. Je me demande comment il a fait.
— C’est une bête horrible. Pourquoi me cherchais-tu ? N’es-tu pas occupée autre part ?
La fillette, embarrassée, s’assit près de lui et croisa les mains sur son giron. Elle ne trouva rien à répondre. Sam dit :
— Eh ben, c’est fichu. Ils savent ?
— Le père Lionel sait. Nous en avons parlé.
Elle leva sur lui un regard qu’il ne lui connaissait pas. C’était celui d’une femme. Un autre que Sam eût sans doute pu y voir quelque chose de grand, mais lui n’y vit que de la résignation. Il demanda :
— Alors, tu vas le faire, c’est ça ?
— Il le faut, Sam.
— Je le savais. Ce n’est pas parce qu’il le faut. C’est parce que tu l’aimes.
— Oui, mais ce n’est pas ce que tu crois.
À quoi bon tenter de lui expliquer cette compassion, cet amour qui était né rue Gît-le-Cœur ? Cette étrange nuit où elle avait vu Louis étendu à plat ventre, secoué de sanglots, auprès d’un sac dont le père Lionel s’était obstiné à lui cacher le contenu du plat de la main ? Jehanne savait d’avance que Sam ne comprendrait pas. Elle voulut lui prendre les épaules, mais il la repoussa avec véhémence et bondit sur ses pieds. Il se mit à trépigner d’indignation.
— Non, ne me touche pas. Je ne veux plus que tu
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