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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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déchéance des nobles qui ont une activité, les plus grands noms n’ont pas hésité à se mettre à la tête des manufactures, à les faire prospérer, à rechercher profits et clientèles, en un mot à animer ce négoce qui doit être partout le sang des États modernes.
    – On sèche lorsqu’on entend de tels discours ! Que vaudront ces gens lorsqu’ils seront en guerre ? Avez-vous vu des colonels épiciers, des capitaines cabaretiers, des sergents savetiers, ailleurs qu’à la cour du roi Pétaud ?
    – Riez ! riez, mon frère ! s’opiniâtra l’abbé, les Anglais vous en remontreront un jour. Leur industrie fait leur richesse, c’est elle qui payera les soldats qui nous rabaisseront la huppe.
    – Vraiment ! ricana le chevalier… Croire de bon cœur que les marchands accepteront de concourir aux entreprises guerrières qui risquent de ruiner leurs affaires.
    – Les conflits créent des besoins, ouvrent des voies inexplorées…
    – Cynisme à l’état pur ! bougonna le chevalier qui fit craquer ses vieux os en se dressant d’un coup pour darder sur son frère un regard qui jetait des étincelles de boîte à fusées. Et voulez-vous me dire comment votre religion s’accommode d’une telle dialectique ?
    L’abbé leva un pouce.
    – Ah, non ! fit-il. C’était pourtant convenu : jamais d’argument tiré de mon collet !
    – C’est bien vous ! vous m’agressez puis vous trichez ensuite en vous proclamant intouchable.
    Il jeta à terre son bonnet de gourgouran pour signifier qu’il passait de la position de procureur à celle d’avocat :
    – Dans ces conditions, à moi de défendre l’Angleterre ! trancha-t-il.
    Glissant alors devant Victor, devenue statue depuis le début de cet époustouflant exercice, bousculant son frère qui ne s’était levé que pour chercher son tabac à priser passé dans la doublure de son justaucorps au travers de sa poche trouée, il alla se poster près de son confessionnal.
    – Dites-moi, fils de Berulle 126 ! lança-t-il d’un ton pour le moins immodeste, et la liberté d’opinion, ne trouvez-vous pas qu’elle se porte à Londres beaucoup mieux qu’à Paris ?
    – Vous avez décidé de ne me point ménager, soupira l’abbé, mais soit ! Certes l’Angleterre avec son habeas corpus 127 , ses lois parlementaires, ses clubs d’idéologues, peut-elle nous procurer l’assez pimpante illusion d’une nation émancipée.
    – Comment ça, illusion ! rugit le chevalier en reposant son petit chat qui était venu se pelotonner sur ses genoux.
    – Illusion, je le maintiens ! reprit l’abbé imperturbable, parce que votre liberté anglaise n’est que le privilège d’une minorité. Enfin quoi, mon frère ! oseriez-vous prétendre qu’on puisse de nos jours, dans notre état encore animal, couler sans risque, dans le même moule de droits et de contraintes, le sort des manouvriers avec celui des princes ?…
    – Tout cela n’est qu’une pasquinade, tempêta le chevalier, vous n’êtes qu’un recommenceur !
    – Vous m’embarbouillez à la fin à force de m’interrompre ! se fâcha l’abbé avant de reprendre avec application : … notre société française, dans l’harmonie de ses trois ordres hérités des temps bibliques : ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent, parvient à équilibrer libertés et devoirs à l’intérieur de chaque classe.
    – Fadaises ! grimaudages ! qu’en savez-vous ? ronchonna mais à mi-voix le chevalier qui craignait assez son frère quand la moutarde commençait de lui monter au nez.
    – Le roi, source de toute justice, reprit l’abbé roulant des yeux féroces, octroie des libertés particulières qu’il s’engage à protéger : liberté des métiers, liberté des couvents, liberté des villes…
    – Liberté des protestants, landerirette – landerirette, poursuivit l’autre mais dans sa barbe.
    – C’est la somme de ces lois fragmentaires qui crée la Loi, c’est la somme des intérêts particuliers envisagés par le monarque lui seul qui crée l’intérêt général.
    – Rien de tout cela n’est prouvable, éclata le chevalier, ce n’est là que logogripher et faire deux morceaux d’une cerise ! Ah ! il faut vraiment avoir l’esprit tordu d’un curé pour faire carillonner sans ciller de pareilles quincailles.
    – Parlons-en ! rétorqua le plus jeune des Thésut, ce sont le guingois de votre cervelle et le manque d’imagination dont souffrent les militaires qui vous conduisent

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