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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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contraint d’obéir.
    Il trouva la boutique plongée dans une obscurité épaisse, trouée seulement de diagonales de jour tombées d’impostes à demi poussées. Un long comptoir, encombré de paquets huilés qui devaient contenir des chandelles, occupait le centre de la pièce ; des casiers vides en garnissaient les murs. C’était tout d’un coup la senteur de cire refroidie, l’odeur, le silence, la noirceur d’un sépulcre.
    – Oh là !… Quelqu’un ? cria-t-il plusieurs fois d’un accent qui défaillait.
    Nul ne répondit. Traînant des pieds et toussotant par précaution, il s’avança dans une remise dont l’accès était encombré d’un culbutis de bonbonnes, de caisses et de ballots de suif.
    Il tendit le cou pour scruter les recoins de ce fouillis sans nom. Il ne vit qu’un feu en train de mourir sous un chaudron dégueulant une gelée parfumée puis, sur une étagère encombrée de flacons, un chat digne et gracieux qui, de sa patte, lissait son museau noir. Il décida de n’aller pas plus loin et cette décision, accrochée à la seule vibration de la circonstance, lui sauva la vie. À quelques pas de lui, caché par un ressaut du mur, un homme immense et plein de barbe, retenant son souffle, attendait qu’il fît un pas de plus pour lui sauter dessus.
    Tenaillé par la furieuse envie de fuir, il retourna dans la première pièce. Contournant le long comptoir, par le côté opposé à celui qu’il avait emprunté en entrant, il trébucha sur un corps étendu qu’il supposa aussitôt être celui de maître Péruchot. S’accroupissant, il découvrit en effet un homme d’environ cinquante ans, à la calotte de ratine noire restée vissée sur la tête, dont le menton s’ornait d’une barbiche en pointe. Il ne respirait plus. Du sang lui sortait par le nez et un rictus figé en grimace drolatique illuminait sa face déjà diaphane. Victor, qui pour la première fois prenait conscience de l’horreur d’une mort violente, sentit un flux nerveux lui courir sous la peau.
    Mû par le vieil instinct du respect qu’on doit aux trépassés, il ôta son tricorne et prit le temps de balbutier les six premières paroles d’un Pater avant de s’échapper en courant.
     
    Après un souper raturé de paroles marmonnées au cours duquel il avait offert à sa famille navrée le spectacle de son désarroi puis une nuit hantée de bout en bout par l’image du cadavre de maître Péruchot, Victor se trouva le lendemain, dès six heures, dans l’antichambre des Thésut. Il était parti tôt de chez son oncle, bien avant le jour levé, mais tout ce temps de précaution avait été à peu près rogné, tant par le soin qu’il avait pris à ne pas s’enfoncer dans le creux des ruisseaux pleins d’ordures, que par la difficulté, une nouvelle fois éprouvée, de reconnaître son chemin. Le vent frais du matin, qui l’avait fait claquer des dents alors qu’il franchissait la Seine, avait rosi ses joues et dérangé artistement sa perruque dont deux ou trois mèches tirebouchonnaient sur ses tempes poudrées. Aussi pénétré de la gravité du moment que l’étudiant qui rejoint pour la première fois le banc de son collège, il serrait sous son bras un maroquin neuf dans lequel, par une naïve précaution, il avait renfermé une ramette de vélin et un faisceau de plumes à tailler.
    Il fut introduit près de l’abbé qui, la serviette au cou, annotait des rapports face à une fenêtre depuis laquelle il pouvait observer le mouvement de la cour du palais. Devant lui, sur une nappe de brocatelle, resplendissait un service de vermeil à godrons chargé de sucreries étagées en pyramide, de gibiers parés et d’un gâteau de lièvre aux truffes, le péché mignon des Thésut et le miracle que Casimir, maître des cuisines du duc, renouvelait quotidiennement pour les vieux favoris de son maître.
    Victor se vit désigner une petite caquetoire 116 au dossier à la reine.
    – Comme vous l’apprendrez vite, annonça Thésut sans cesser de griffonner, notre Palais-Royal ne prétend à rien moins qu’être un second Versailles, pas moins glorieux ni moins industrieux que le modèle ! Pour gérer l’immense apanage, les terres et les domaines de la Maison d’Orléans, nous faisons travailler au rez-de-chaussée de cette demeure jusqu’à deux cents personnes dont la tâche est à présent, grâce à mon frère, mieux organisée que celle d’une vieille chancellerie. Les étages sous nos pieds –

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